lundi 7 juillet 2025

Dernière étape du périple, destination Erzurum

 
Depuis Kars un long détour était au programme pour découvrir les fascinantes merveilles naturelles, et les insolites paysages de la région.
Nous remontons vers le nord en direction de la frontière géorgienne pour une première halte au bord du lac Çıldır qui se trouve à 1950 mètres d’altitude et a la particularité d’offrir en hiver ses 123 km² entièrement gelés en surface et praticable en traineau !



En ce début mai, la glace a fondu mais un petit vent froid pousse les nuages, découvrant des bouts de ciel bleu… pas pour longtemps !
Le lac constitue la plus grande réserve d'eau douce d'Anatolie orientale et au regard de la météo, aucune menace d’assèchement aujourd’hui. Déjà quelques gouttes viennent interrompre  la balade ! On y pêche la carpe qui se déguste dans les gargottes encore barricadées. C’est aussi un observatoire d'une grande variété d'espèces d'oiseaux, fréquenté aussi par les oiseaux migrateurs. Mais pour le moment même les canards sont à l’abri !


En raison d’une visibilité très réduite par des nuages bas, on fait l’impasse sur la visite du château du Diable, situé à proximité de la petite ville de Çıldır et agrippé au flanc d’une falaise rocheuse, aujourd’hui accessible par une route goudronnée puis par un sentier. Sa construction remonterait à la période géorgienne du haut Moyen-âge. La légende populaire attribue son invincibilité à une protection diabolique que nous n’avons pas osé affronter !
Nous continuons vers Ardahan avec le faible espoir d’y visiter un autre château situé dans le centre-ville, sur les rives de la rivière Kura. Il a été utilisé durant les périodes seldjoukide et ottomane. Il fut restauré au milieu du 16e siècle sur ordre de Soliman le Magnifique comme en atteste parait-il une inscription à l’entrée Ouest.




Mais la pluie ne laissant pas de répit, on en profite pour se régaler de tandır ekmeği , sorte de galette cuite dans un four circulaire en pierre, au restaurant du centre ville Ardana döner, avant de poursuivre notre itinéraire vers une curiosité naturelle qui ambitionne de faire de l’ombre aux cheminées de fées de Cappadoce.



Une brève halte en bord de route à Narman nous a donné un aperçu de ce paysage étonnant, le « pays des fées rouges » qu’il aurait pourtant été plus confortable de découvrir au sec. Petite consolation, la couleur n’en est que plus intense !



Résultat d’un processus géologique complexe s’inscrivant sur plusieurs millions d’années, le vent, la pluie, les températures extrêmes sculptent patiemment ces aggloméras de roches.


On en voit ici un bel échantillon de différents stades de formation.   

Nous devrons cependant abandonner le projet de découvrir la cascade de Tortum, autre formation géologique impressionnante résultant d’un glissement de terrain dans la région montagneuse de Kemerli ayant bouché le cours de la rivière Tortum et formé le lac du même nom. Au printemps surtout, les eaux du lac Tortum qui débordent la zone rocheuse du glissement de terrain se déversent en cascade sur 21metres de large et 48 mètres de haut. Un balcon d'observation permet d’admirer les spectaculaires chutes d’eau. Une autre fois peut être…
 
Nous arrivons à Erzurum un peu fourbus par cette journée de route mouillée.
Déjà la nuit tombe et nos dernières forces nous propulsent au centre ville pour une rapide exploration du caravansérail de Rüstem Pacha, connu sous le nom de Taşhan, commandité par le grand vizir de Soliman le Magnifique (en fonction de 1520 à 1566)  et achevé en 1561.


Chef-d’œuvre de l'architecture caravanière ottomane, il comprenait une auberge, une petite mosquée, une aire de repos, des boutiques et des aires d'attache pour les chameaux, les ânes, les bœufs, les buffles et les chevaux.


Il s'élève sur deux niveaux et entoure une cour rectangulaire.
Restauré en 1965, il a subi quelques modifications et abrite aujourd’hui le plus grand marché de pierre d’Oltu, autrement dit une pierre de jais (pierre de gagate) provenant des alentours de la ville d’Oltu située un peu au nord d’Erzurum. L'extraction est réalisée dans quelques trois cents puits de mines. Dans le Taşhan se trouvent les ateliers des artisans où la pierre est découpée, taillée et polie, sertie et vendue dans les nombreuses boutiques.


Cette pierre semi précieuse issue du genévrier fossilisé est connue aussi sous l’appellation d’ambre noire. Elle était destinée à l’accompagnement des rituels sous forme de statuettes ou amulettes, de parures de perles, de coffrets, et en pendentif comme talisman chamanique. Elle est aujourd’hui utilisée pour la confection des chapelets de prières et de bijoux.
De couleur noire intense, d’aspect lisse et brillant, cette pierre a la réputation d’offrir protection, ancrage et positivité depuis au moins l’antiquité et même la préhistoire. On l’associe également au deuil pour sa capacité d’absorber les émotions négatives, d’éloigner les pensées sombres.

Demain avant de s’envoler vers Istanbul, nous découvrirons d’autres édifices historiques de la ville…

Source:

lundi 30 juin 2025

Kars, capitale régionale multiculturelle

Après la visite du site médiéval d’Ani, nous découvrons la ville de Kars, capitale régionale de l’extrême Orient turc, distante de 1500 kilomètres d’Istanbul, perchée sur un plateau à 1756 m d'altitude. Les hivers y sont rigoureux et les printemps tardifs.


La première halte sera consacrée au musée provincial fondé en 1959, mais installé dans le bâtiment actuel depuis 1980, un peu à l’écart du centre ville. 






Il comporte
une section archéologie présentant chronologiquement des artefacts du Paléolithique à l'Âge du Fer, ainsi que des périodes urartéenne, romaine, byzantine, arménienne, géorgienne, seldjoukide et ottomane. 




Fossiles, bracelets en métal, pointes de flèches, fers de lance, fibules, bijoux et vases en terre cuite, récipients et jarres à grains, objets en verre et pièces de monnaie sont exposés.
Ils proviennent de la province de Kars et principalement du site d’Ani, ainsi que des recherches de surface menées à Ardahan, Ağrı et Iğdır.
La section ethnographie expose des objets des 18e et 19e siècles, (tapis tissés, ceintures en argent, manuscrits, ustensiles de cuisine et parures).


Deux portes identiques en bois sculpté d’ornements végétaux et géométriques et d'un relief représentant deux aigles de chaque côté d'un anneau sur le fronton, appartenaient à l’église arménienne, saint Grégoire l’Illuminateur, construite en 1912 et démolie au milieu du 20e siècle.

Bien que la région soit peuplée depuis des millénaires, la fondation de la ville n’est pas clairement établie. Sous domination urartéenne entre le 11e et le 6e siècle av. notre ère, plusieurs petits royaumes locaux se partageaient un vaste territoire. L’un d’eux qui semble avoir été proto-géorgien occupait le site de Kars, mais rien ne témoigne de la fondation d’une antique cité. Par contre Kars faisait partie de la Satrapie d'Arménie (Orontide), quand les Perses intégrent à leur empire l'ancien territoire Urartu en 550 av. notre ère. C’est la toute première administration arménienne connue. Elle passe sous la domination Séleucide avant de devenir indépendante avec Artaxias Ier qui fonde la dynastie royale des Artaxiades, alliée des Romains. Mais le territoire très convoité passe de mains en mains pendant des siècles. Parthes, Sassanides, Romains, Omeyyades, Abbassides, Byzantins… Kars fut cependant la capitale provisoire de la dynastie arménienne des Bagratides au 10e siècle avant qu'ils ne s'établissent à Ani.
Ville multiculturelle soumise aux conflits sans fin, son passé mouvementé  ne s’arrête pas là mais c’est à partir de cette époque que datent les vestiges architecturaux visibles aujourd’hui.


Au sommet d'une colline rocheuse, la citadelle, fortification arménienne construite au 10e siècle en est le témoin muet. Ayant subit les effets destructeurs de violents combats, ses murailles furent reconstruites maintes fois.


Au pied de la forteresse, l’église des Saints Apôtres a été édifiée entre 932 et 937 pour le roi Abas du royaume d’Arménie, convertie en mosquée au 11e siècle par les Seldjoukides, église géorgienne une courte période avant d’être restaurée en mosquée au 16e siècle par les Ottomans, puis modifiée en église orthodoxe par les Russes au 19e siècle.


De nouveau mosquée en 1918, elle abrita ensuite un musée entre 1964 et 1981 avant d’être réattribuée au culte musulman depuis 1993 et nommée Kümbet Cami.
La structure en pierre présente un plan carré central avec quatre absides rayonnantes et une coupole circulaire soutenue par douze arches. Sous le toit conique on distingue entre les arcatures du tambour des personnages, sculptés de face, dans un style assez primitif, en représentation des douze apôtres.




A l’intérieur de l’édifice, le gardien attire l’attention des visiteurs en braquant un faisceau lumineux aux écoinçons d’angles de la coupole. Les symboles des quatre évangélistes y sont représentés. L’aigle pour Saint-Jean, une tête d’homme pour Matthieu, une tête de bœuf pour Luc et une tête humaine pour Marc qui devait être un lion à l’origine.


Il soulève également un coin du tapis de prière pour dévoiler quelques mosaïques du sol.


Tout près se trouve la mosquée Evliyâ, la plus grande mosquée de la ville, témoignant de la présence ottomane.


C'est l'une des neuf mosquées construites par Lala Mustafa Pacha, général et vizir, lors des travaux d’embellissement de Kars en 1579. Elle fut érigée sur ordre du sultan Murat III à l’emplacement du mausolée d’Ebü'l Hasan Harakani, l'une des figures spirituelles du soufisme les plus importantes de son époque, qui fut tué au cours d'une bataille contre l'armée byzantine, peu avant la conquête de Kars en 1064 par le sultan Alparslan.


Plusieurs reconstructions de la mosquée, dont celle de 1988-1989, lui ont fait perdre son allure d’origine à l’exception du minaret.



De forme ronde sur une base carrée et doté d'un seul balcon, l’assemblage de pierres colorées lui donne une allure très particulière évocatrice de construction en briques Lego.


Un pont en pierre de basalte taillée a été édifié à la même époque sur le ruisseau Kars, au pied du château. Il fut détruit en 1715 par une crue dévastatrice et reconstruit à l’identique en 1719 par Hacı Ebubekir Karahanoğlu, l'un des notables de la ville.



De chaque côté du pont se trouvent des hammams.

À la fin de l'époque ottomane, suite à la guerre russo-turque de 1877-1878, Kars passa sous domination russe pendant 40 ans.



De nombreux édifices civils, militaires et religieux de style balte en pierre de basalte témoignent encore de cette occupation.



La cathédrale orthodoxe Alexandre Nevski a été construite par les Russes en 1878. L’édifice servi de gymnase dans les premières années de la République de Turquie, puis a été transformé en mosquée en 1985. C’est actuellement la mosquée Fethiye se dressant au centre d’une esplanade.



Sur l’avenue Atatürk, la principale artère de Kars, se trouve le café restaurant Aleksandr Puskin. Sous le portrait du poète et romancier russe Pouchkine qui ne s’est probablement jamais restauré dans ces lieux, mais qui est passé dans la ville pour rejoindre les troupes du tsar en Anatolie, nous avons apprécié des mets évoquant des traditions culinaires caucasiennes.



Plat d’oie rôtie pour les uns, et pour les autres, Hengel, une spécialité de pâtes servies avec du yaourt à l'ail, des poivrons rouges et oignons frits. Elle est très répandue d’Artvin à Erzurum en passant par Kars et Sivas avec quelques variantes locales de Hardahan jusqu'à Çorum.
Kars est réputée pour ses fromages fabriqués avec le lait des vaches paissant dans les pâturages du haut plateau, riches de 1600 espèces de fleurs, dont une centaine endémique. Jouxtant le restaurant, la boutique Puşkin gurme réserve aux amateurs une production variée (Kaşar, Gravyer, Tulum, Isli, Göğermiş Çeçil etc.), de miel et autres produits régionaux, et en flânant dans les rues on est impressionné par la quantité de fromageries… Mais ceux qui me connaissent l’auront compris, je ne me suis pas trop attardée dans ces boutiques ! Un musée du fromage a même ouvert ses portes en 2022 (Adresse: Ortakapı, Tabya Altı, 1. Şener Sk.)




A 58km du centre de Kars, un autre vestige de l’architecture russe peut retenir l’attention. Connu comme le pavillon de chasse de Katerina, il aurait été édifié en 1896 à la demande du tsar Nicolas II pour protéger et soigner son fils Alexis, atteint d’hémophilie. Au beau milieu d’une pinède, il fut aussi probablement utilisé comme pavillon de chasse.


Les fondations sont en pierre et les façades en rondins de pin.
Il fut attribué à des fins militaires au commandement de la brigade de Sarıkamış après la libération de la région et la déclaration de la République jusqu'en 1994 puis transféré au Trésor public.
Dans un état de délabrement avancé, cet édifice symbolique du patrimoine historique aurait besoin de toute urgence d’une sérieuse restauration pour le sauvegarder.

A quelques kilomètres, un monument commémore la bataille de Sarıkamış, qui a débuté le 22 décembre 1914 et s'est terminée le 5 janvier 1915 entre les armées ottomane et russe, où des milliers de soldats turcs sont morts de froid dans la neige.

Tout près de là, sur le Mont Camurlu à une altitude de 2,100 à 2,600m, Sarıkamiş est aujourd’hui connue pour sa station de sports d’hiver comptant 7 pistes de ski.