Sur la colline Yıldız de Beşiktaş à Ortaköy, se
trouvaient autrefois des bosquets, terrains de chasse prisés du sultan Soliman
le Magnifique (r:1520-1566). Sous
le règne du sultan Ahmet Ier (r:1603- 1617), ce lieu fut officiellement inclus parmi les jardins privés
dédiés à la promenade. Ce n’est qu’au début du 18e siècle que le sultan
Selim III
(r:1789-1808) fit construire ici un manoir pour sa mère, Mihrişah.
Un autre manoir fut édifié pendant le règne du sultan Mahmud II (r:1808-1839) pour Bezmialem, mère du sultan Abdülmecid (r:1839-1861). Celui-ci fit ensuite, selon la rumeur, réparer et rénover le
manoir pour l’une de ses favorites nommée Yıldız Hanım. Le nom Yıldız y ferait
référence. Le sultan Abdülaziz (r:1861-1876)
fera construire des pavillons désignés Chalet (1870), Malte et Çadır, toujours présents dans le parc de
Yıldız ouvert au public depuis 1950.
Mais toutes ces fréquentations bucoliques impériales
n’auraient pas suffi pour ancrer les lieux dans l’Histoire.
Le palais acquiert sa dimension sous le règne du sultan Abdülhamid
II (r:1876-1909) qui, craignant une attaque maritime, abandonne en 1889 le palais de Dolmabahçe situé en bordure du Bosphore
pour s’installer en des lieux plus sécurisés.
Il a commandé au célèbre architecte italien Raimondo D'Aronco la
construction de nouveaux édifices pour ce complexe impérial à la fois lieu de
résidence et siège du gouvernement ottoman. Au cours de cette période, le complexe
s’est déployé sur 50 hectares.
Contrairement au Palais de Dolmabahçe construit d’un seul
tenant selon des standards occidentaux, celui-ci évoque la structure du palais
de Topkapı avec sa juxtaposition de pavillons, sans recherche de symétrie, ni
de puissance visuelle dans l’ordonnancement du plan architectural, mais se
fondant plutôt dans le paysage derrière des murs protecteurs et divisé en cours
selon la fonction des pavillons, d’apparence extérieure pour la plupart assez
modeste.
Le complexe du palais Yıldız a perdu de son importance
après la destitution du sultan Abdulhamid II en avril 1909, suivie de
dégradations et pillages, mais il fut encore occupé sous le règne de Mehmed VI Vahdeddin,
36e et dernier sultan ottoman, jusqu'à l'abolition du sultanat en
1922.
Les bâtiments du palais furent ensuite attribués à
l'Académie militaire puis cédés au Ministère de la Culture en 1978.
A partir de 1993 quelques visites furent momentanément
autorisées mais ce n’est qu’en 2018 que commencent de vastes travaux de
restauration sous la direction du département des Palais Nationaux en vue
d’ouvrir les portes du palais Yıldız au grand public. Et pour ce faire, l’accès
est gratuit depuis l’inauguration mi-juillet, jusqu'à fin août 2024. Inutile de
préciser qu’une foule de visiteurs pas très disciplinée se presse pour
découvrir les luxueux salons des pavillons. Mieux vaut s’y rendre le matin à
l’ouverture pour une tranquillité relative.
Une fois franchi le sas de sécurité, le premier bâtiment
sur la gauche présente sa façade arrière, c’est le selamlık, sorte de salle d’accueil des invités masculins en attente
de prise en charge par un personnel compétant devant les guider vers le
pavillon où ils étaient attendus. Il n’est pas accessible aujourd’hui.
L’entrée par laquelle commence la visite est un peu plus
haut, grand portail dépourvu de toute fioriture.
En face, un premier bâtiment tout en longueur abritait
les bureaux de l’état major. S’y trouve aujourd’hui, le personnel d’accueil et
une cafeteria.
Sur la gauche un autre portail plus imposant donne accès à
la seconde cour abritant entre autre le pavillon Petit Mabeyn, appartements
privés du sultan.
L’accès de visite fait face à l’orangerie mais sa façade se
distingue mieux depuis le jardin.
La photo des personnalités en présence lors de la
destitution du sultan Abdulhamid est postérieure à l’événement. Elle a servi de
modèle au calife Abdülmecit qui a peint le tableau d’après cette photo en y ajoutant le sultan.
Le jardin paysager a été conçu dans un style dit de « jardin anglais
naturaliste ».
Il présente un cours d’eau sinueux avec grottes et
cascades, bassins, petits ponts de bois, barques et kiosques d’agrément, arbres
aux essences rares et parterres fleuris. Sans la vigilance des gardiens, plus
d’un visiteur serait tenté d’aller se rafraichir dans cette piscine de
luxe !
Un chalet, Cihannuma
kasrı, isolé à l’une des extrémités du jardin fait office de belvédère avec
vue panoramique sur le détroit du Bosphore depuis son 3e étage, mais
ne se visite pas.
Dans la première cour attribuée à l’espace public, face au
bâtiment de l’Etat major se dresse la plus imposante bâtisse du complexe qui ne
s’impose pas d’emblée au regard comme pour susciter la surprise et
l’admiration.
Le grand Mabeyn fut construit en 1865 par les architectes
de la famille Balyan pour le sultan Abdülaziz, comme résidence d’été. Le sultan
Abdülhamid II en fit le lieu des réceptions officielles du pouvoir étatique et
des relations diplomatiques avec les chefs d’Etats et les représentants des
pays étrangers.
Salle de travail du grand chambellan
Divanhane ou salle du conseil, salon de réception des
hauts dignitaires. Selon la tradition il comporte des fontaines. Le murmure de
l’eau permettant de rendre plus discrètes les conversations. Un décor ostensiblement fastueux sert de
vitrine au pouvoir impérial en perte de prestige et d’influence.
Situé à proximité du pavillon du Grand Mabeyn, le
pavillon Çit, bâtiment d'un seul étage tout en longueur était aussi utilisé
pour recevoir les hommes d'États étrangers. Avant d’atteindre la salle de
réunion, ils devaient traverser une enfilade de salles exposant les collections
personnelles du sultan qui se montrait très curieux des nouvelles technologies
et inventions ainsi que des réalisations artistiques dans de nombreux domaines
en particulier en ébénisterie dont il s’employait lui-même à fabriquer quelques
meubles.
Ce bureau a été réalisé par Victor Aimone, sculpteur
italien établi à Paris et porte le tuğra
du sultan Abdülhamid II.
On y voit aussi les tentures, voilages et tissus
d’ameublement de la manufacture impériale
d’Hereke créée par Abdülhamid II et qui exportait une partie de ses productions
en Europe.
Des pièces en faïence ou porcelaine provenant de la
manufacture impériale créée également par le sultan dans l’enceinte même du
palais afin de revitaliser l’art traditionnel de la céramique développé en
Anatolie depuis des siècles, font partie du décor comme une sorte de showroom et attire l’attention des
visiteurs d’aujourd’hui comme elles ont dû le faire à l’époque. Technologie et matériaux
empruntés en partie aux manufactures de Sèvres et de Limoges, ces vases étaient appréciés
en Europe et trouvaient leur place dans les expositions internationales.
Dans la grande salle de réunion se trouvent des joyaux de
marqueterie ottomane aux incrustations d’ivoire et de nacre.
Le Musée du Palais est une grande galerie de 90 mètres de
long où étaient exposés les objets de valeur. La bibliothèque bien conservée contient des ouvrages remarquables.
Seyyid Lokman, est un auteur ottoman de récits
historiques dans le style Shâh-Nâme.
Les pavillons désignés sur le plan ne sont pas tous accessibles pour le moment, tels les appartements de l’eunuque noir en chef,
les appartements de l’épouse du Sultan ni le harem, ni les logements des
domestiques à leur service. Pas davantage le laboratoire photographique
personnel du sultan. Peut-être le seront-ils en septembre, quand l’accès sera
payant ?
Le complexe comprenait aussi une pharmacie, des hammams,
un atelier de menuiserie, une forge, un atelier de serrurerie… Quant au théâtre
que j’avais eu l’occasion de visiter il y a une vingtaine d’années, il n’est
pas même mentionné sur le plan. Un gardien m’a confirmé son existence mais il
serait encore en restauration.
Selon certains récits, le complexe abrita
jusqu’à 12000 personnes, y compris les ouvriers des manufactures et des
ateliers.
Le palais Yıldız fut conçu comme une petite
ville modèle reflétant les visions économiques, sociales et culturelles en
cette fin d'Empire ottoman.