La décennie a vu fleurir à Istanbul et probablement dans
toutes les villes de Turquie des équipements sportifs libres d’accès pour
inciter les citadins à faire un peu d’exercices… Les plus modestes espaces verts en sont pourvus. Leur fréquention a dû diminuer pendant la pandémie, mais ne
remet pas en cause leur succès.
Dans le parc des Artistes (Sanatçılar parkı) doté d’un parcours de santé arboré, ils
complètent les activités de plein air depuis plusieurs années.
Une nouvelle installation de couleur orange ne manque
cependant pas d’attirer l’attention, de susciter l’interrogation. Qu’est-ce
donc ?
Suite à son exposition sur la place de l’embarcadère de
Beşiktaş à l’occasion de la 5e Biennale du Design d’Istanbul,
inaugurée à l’automne 2020, elle a trouvé son emplacement définitif dans ce
parc de mon quartier.
Public Devices for Therapy a été conçu par une designer
portugaise, Soraia Gomes Teixeira, avec l’objectif d’apporter une contribution
positive à la reconstruction d'un monde plus empathique et bienveillant, mais
également de réhabiliter le concept de design trop souvent perçu comme un outil
à la solde des intérêts mercantiles, ayant pour devise séduire pour inciter à
consommer toujours plus.
Cette installation serait la matérialisation d’une
gestuelle de communication, de relations humaines que les réseaux sociaux ont
contribué à détériorer en limitant les rencontres au monde virtuel. Dégradation
amplifiée par les injonctions de distanciation rendue nécessaire par la pandémie,
agissant comme le révélateur d’une situation déjà bien installée.
Appareils publics de thérapie, viserait à stimuler
la restauration de la confiance et du contact entre les personnes. Regarder,
toucher, parler, écouter, rencontrer l'autre.
Mais est-ce si grave docteur ?
Avons-nous besoin de ces béquilles, de ces prothèses ?
La présence de ces étranges objets métalliques peut
cependant inciter à la réflexion. Une couleur moins agressive aurait été préférable,
à mon humble avis, pour véhiculer le message apparemment bien intentionné de sa
créatrice, en s’insérant avec plus de douceur dans le paysage. Mais l’impact en
aurait été sans doute trop atténué.
« Vous pouvez scanner le QR code ou utiliser le lien
ci-dessous pour découvrir les outils de thérapie publique conçus par Soraia
Gomes Teixeira à travers la réalité augmentée. Cette installation de réalité
augmentée se répond en soulevant des questions sur la tangibilité et
l'impossibilité du toucher dans le monde numérique. Elle porte la signature de
Digilogue, plateforme d'art et de technologie qui se concentre sur les enquêtes
techno-philosophiques et les formations sur les outils numériques et les
industries créatives, soutenue par Zorlu Holding et Zorlu Performing Arts
Center. »
Et nous voila invité à consommer sur le champ du contenu
numérique pour essayer de comprendre le charabia énoncé dans les lignes
précédentes. Que peut bien nous apprendre la réalité augmentée* sur la question
tangibilité et impossibilité de toucher (=intangibilité) ? On le sait
déjà, le monde virtuel est intangible. Il n’en est certes pas moins réel, mais illustre une réalité localisée ailleurs. Nous en faisons l’expérience
quotidienne sur les plateformes de communication pour se voir, se parler, mais
l’impossibilité de toucher, de sentir est encore une évidence, (pour le moment).
Il n’est peut être pas nécessaire d’avoir recours à une application décryptant
un QR code pour comprendre ce paradoxe, à condition bien sûr d’être encore
capable de prendre le temps de réfléchir !
Difficile, il est vrai, de faire abstraction des technologies
numériques pour pallier les distances, approfondir des connaissances, multiplier
les champs de réflexion, de créations artistiques, obtenir des réponses quasi immédiates
aux interrogations qui se présentent à l’esprit qu’elles soient d’ordre
pratique, culturel ou autre. Ce constat se concrétise regrettablement par des ensembles
humains, les yeux rivés sur les écrans dans les espaces publics (les rues,
les transports…), imperméables à leur environnement et à toute manifestation d’empathie,
de bienveillance. J’avoue même ramer à contre-courant en ignorant les QR codes disponibles aux musées, me cantonnant jusqu'à présent aux informations
explicatives inscrites et directement accessibles sur place par simple lecture,
et aux échanges verbaux avec les personnes qui éventuellement m’accompagnent.
Notre santé mentale serait mise en péril par le développement
du numérique et d’une complice nommée Covid-19, mais le salut passerait par une
consommation accrue de contenu numérique se proposant de nous expliquer
comment en guérir? Raisonnement plutôt confus.
Quand à l’utilisation de ces appareils publics de thérapie,
elle me semblait assez limpide contrairement à ce qu’insinue Soraia Gomes
Teixeira dans une interview : « Je pense que la réalité augmentée
peut être un moyen d'expliquer ce que sont ces objets et à quoi ils servent,
car nous sommes habitués à vivre dans une société normalisée et stéréotypée.
J'entends par là que, généralement, nous regardons les objets qui nous
entourent et savons instantanément ce qu'ils sont. Dans le cas des appareils de
thérapie publique, cela est plus difficile car ce sont des objets en dehors des
catégories d'objets les plus courantes et peuvent sembler étranges dans leur
utilisation. » Discours un tantinet humiliant ! Il existe des appareils autrement
plus complexes dont nous arrivons généralement à maitriser la pratique avec du
bon sens et de la persévérance et même de l’imagination.
A ceux là je ne reconnu, à priori, qu’une utilité de déclencheur
de prise de conscience, de clin d’œil humoristique, induisant une efficacité thérapeutique
par ricochet. L’arrogance et l’impertinence d’en proposer un mode d’emploi via
une application numérique fut la goutte de trop qui provoqua l’agacement. Pour l’évacuer
et retrouver un état d’esprit plus serein, une marche prolongée ne fut pas
superflue, en attendant d’écrire ces lignes.
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*Définition basique du concept de réalité augmentée: technologie d’affichage visuel qui consiste à
superposer à la réalité telle que nous la percevons, un certain nombre
d’informations virtuelles, afin d’augmenter la qualité de l'expérience
réelle.
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