Si en Turquie on sirote des “çay” (thé) à longueur de
journée, la dégustation d’un café tient une toute autre place encore
aujourd’hui et s’apparente à un moment de détente plus raffiné, même si le cérémonial
de sa préparation s’est notablement simplifié au cours du 20e siècle
et plus encore ces dernières années avec l’apparition de l’appareil électrique
adéquat.
Saluons l’initiative de l'Association de culture et de recherches sur le café turc, créée en 2008, qui a soumis un dossier
convainquant à l’UNESCO aboutissant à son inscription sur la liste du patrimoine immatériel en 2013 et à l’origine de cette exposition bien documentée
qui retrace son histoire.
Il y a bien des années j’avais été conquise par la
tradition du café turc et plus tard, constatant son recul de popularité face à
la concurrence d’autres modes de préparation, je lui avais consacré un des premiers articles de ce blog.
Autant dire que cette exposition le mettant à l’honneur a
toute ma sympathie et que sans plus attendre je vous livre commentaires et
photos de ma visite.
L’histoire du café turc commence vers 1535 après la
conquête du Yemen par Soliman le Magnifique. L’arbuste aux baies rouges
contenant dans leurs noyaux les fameux grains verts y est déjà cultivé depuis
probablement trois siècles et une décoction de ses grains grillés et broyés est
très appréciée dans la péninsule arabique pour ses propriétés à stimuler et prolonger
la concentration intellectuelle.
La consommation du breuvage se répand rapidement dans
tout l’empire ottoman.
A la cour du sultan, au palais de Topkapi, ainsi que dans
les demeures aristocratiques, sa préparation et son service font l’objet d’un minutieux
protocole.
Des chefs du café (kahveci başı) entourés d’un personnel spécialisé en sont
responsables et leur fonction est assez respectée pour les autoriser à défiler
dans des processions comme en témoignent des miniatures du Sürname (Livre des fêtes).
On ne peut se passer d’un café même dans les situations
les plus périlleuses : un équilibriste assis dans un panier d’osier en haut
d’une perche s’en verse dans une tasse.
Des kahvehane (lieu
où l’on sert du café) ouvrent cependant un peu partout dans la capitale
ottomane dès 1555. Les hommes s’y réunissent de longues heures.
Certains objets témoignent d’un art de vivre indissociable de la dégustation du café : éventails, longues pipes, narguilés, instruments de musique, jeux de tavla…
Les femmes font de même dans les salons des
harems.
Ces moments de détente et de rencontres deviennent le
symbole de la convivialité et de l’hospitalité à la turque. La cérémonie du
café est institutionnalisée.
La consommation se répandra peu à peu en Europe et dans
le monde avec des méthodes différentes de préparation, mais conservera en Turquie
et les anciens territoires de l’empire, ses particularités.
L’exposition présente un grand nombre d’ustensiles liés à
des techniques précisément répertoriées.
La torréfaction des grains et leur refroidissement se
font dans des récipients adaptés où l’on ne met que du café.
Pareillement, mortiers et moulins cylindriques sont
utilisés exclusivement pour le broyage des grains jusqu'à l’obtention d’une
très fine mouture.
La lente cuisson sur les braises est une opération délicate.
Le mélange doit monter par au moins deux fois dans le cezve (récipient spécifique) pour former une mousse onctueuse sans
déborder.
Le mot taşım désignant cette
montée contrôlée est réservé au café. Le titre de l’exposition « Bir taşım keyif » est donc
particulièrement bien choisi mais sa traduction en français (une montée de
plaisir) ne parvient pas à en transmettre toutes les nuances.
Les grains de café sont conservés dans des coffrets
originaux ou des sacs de tissus brodés.
Plateaux et napperons participent à un service raffiné.
La tasse et sa soucoupe sont bien sur un élément
essentiel du cérémonial. En porcelaine de Chine, de Sèvres ou de Saxe, en fine céramique
d’Iznik ou de Küthaya, elle porte de délicats motifs colorés. Quand elle ne
comporte pas d’anse elle est insérée dans un étui de métal ouvragé (or, argent,
cuivre), parfois rehaussé de pierres précieuses.
Certaines, comme celle-ci venant de Kütahya présente un
motif stylisé du caféier.
On notera que les premiers récipients étaient des petits
bols chinois, d’une contenance bien plus importante que les tasses (fincan) utilisées plus tard.
Clin d’oeil anachronique de cette exposition, une
découverte archéologique de la région d’Izmir (Panaztepe près de Menemen) prend
place dans une des vitrines. Ce qui ressemble étonnement à une tasse à café de
forme très actuelle date du 2e millénaire av. JC. A quel breuvage pouvait-elle
bien être destinée ?
Des stèles de tombeaux portent même les reliefs d’objets
se référant à la préparation du café.
Enfin, datant du début du 20e siècle, toute une
série de croquis du peintre Ali Reza Bey évoque une consommation populaire loin
de l’apparat déployé par les classes privilégiées mais qui perpétue la
tradition à travers des gestes, des objets plus simples, véhiculant cependant toujours
autant le respectueux souhait d’apporter un moment de plaisir à la personne qui
va déguster le café et la sensation pour celle-ci de recevoir une marque de généreuse
attention.
Tout autant que les objets et les illustrations, des mots
de la langue turque témoignent de l’importance culturelle du café (kahve).
Ainsi la couleur marron se dit couleur café (kahverengi), le petit déjeuner est
désigné “sous le café” (kahvaltı) premier repas de la journée qui sera suivi
d’une tasse de café. Les mots les nommant avant l’arrivée du café sont tombés
dans l’oubli…
La visite se termine par la boutique présentant des
reproductions de qualité de quelques objets exposés et le (gros) catalogue
abondamment illustré retraçant toutes les recherches liées à l’exposition.
Quelques tables lui donne même des allures de café, mais il manque quelque
chose d’essentiel… On a beau humer avec insistance, aucun arôme ne vient
chatouiller nos narines ! Les vendeurs sont désolés de n’avoir à nous
offrir que du Şerbet à la rose et des
bonbons !
A la décharge des organisateurs ma visite date de samedi,
premier jour de l’exposition, et j’espère que cette lacune va être comblée rapidement !
En évitant de tomber dans le folklore des cezve de cuivre et des moulins à
manivelles, puisqu’ils ont leur place dans les musées, il faut moudre en
machine du café dans ce lieu et y préparer des cafés turcs avec les appareils
d’aujourd’hui. Les turcs ne sont pas prêts à renoncer à leur café et ils ont
bien raison ! Pourquoi ne pas montrer que les traditions savent résister
en s’adaptant aux changements et en convaincre les visiteurs en leur faisant lever
le nez et respirer de plaisir les effluves.
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Exposition temporaire du 21 février au 15 juin 2015,
située dans la bâtisse des anciennes écuries impériales. Ouverte tous les jours
sauf le mardi de 9h à 16h45 et jusqu'à 18h45 à partir du 15 avril
Bonjour,
RépondreSupprimermon nom est Thierry Prieux, je suis le président d'une association s'appelant l'AICMC (Association Internationale des Collectionneurs de Moulins à Café).
Je viens de découvrir votre article qui est très bien fait sur les "500 ans d'histoire du café turc" au Palais de Topkapı.
Accepteriez-vous que l'on mette un lien sur notre site (www.aicmc.fr) vers votre blog.
Je peux aussi indiquer votre article dans notre prochain bulletin trimestriel.
Si vous le souhaitez, vous pouvez me joindre à l'adresse suivante : thierry_prieux@yahoo.com
Par avance, Merci pour votre réponse.
Thierry Prieux
Président de l'AICMC
Bonjour, j'ai visité le site de votre association et accepte volontiers que vous y ajoutiez un lien vers cet article de mon blog afin que vos lecteurs puissent faire connaissance avec un élément essentiel de l'art de vivre en Turquie. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que l'article - Exposition "500 ans d'histoire du café turc" au Palais de Topkapı - soit également mentionné dans votre prochain bulletin trimestriel, en indiquant la source (adresse http de l'article). Merci de m'avoir contactée. Bien cordialement
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