A 25 km d’Aydın en direction de Denizli, un panneau
indique la présence de la cité antique au niveau de Sultanhisar. Après avoir
bifurqué vers le village, il suffit de suivre les flèches sur environ 3 km.
Mais Sultanhisar réserve une surprise aux curieux. Sur la
droite du passage à niveau un vestige d’une époque révolue bien plus proche de
nous que les ruines antiques qui ont motivé notre visite : une rutilante locomotive
à vapeur.
Selon TCDD, compagnie des Chemins de fer de la République
de Turquie, la première ligne réalisée sur les terres anatoliennes a été établie
entre Izmir et Aydın avec une concession accordée aux Britanniques en 1856.
Sur cette ligne toujours en activité il existe d’ailleurs
un musée à Selçuk, petite ville plus connue pour sa proximité avec la cité antique d’Ephèse. Pour les amateurs, ce musée situé dans le quartier de Çamlık,
ancienne gare, réunit 32 locomotives à vapeur de la compagnie TCDD exposées
depuis 1997, dont la plus récente a été produite en 1952. S’y trouve aussi une
locomotive à vapeur de fabrication britannique avec une chaudière à bois, modèle
1887.
Celle de Sultanhisar adresse un clin d’œil aux touristes
de passage, comme une invitation à en savoir plus sur ce moyen de transport
emprunté sans doute par quelques voyageurs déjà intéressés par les nombreux
vestiges archéologiques de la région: Aphrodisias, Stratonikeia, Lagina, Alabanda
et Alinda, Iassos, Bargylia, Cnide, Didymes, Héraclée du Latmos, Euromos, Labraunda…
Ce qui nous ramène à la destination de notre
escapade : Nysa
Cité carienne à la limite de la frontière sud de la Lydie antique, elle est située dans la vallée fertile du Méandre dont un affluant s’écoulait par un profond ravin, partageant la ville en deux comme la décrivait dans son célèbre ouvrage "Geographica", le géographe Strabon d'Amasya (64 av. notre ère/ 24 de notre ère) ayant étudié à Nysa et la qualifiant de "ville double".
Il mentionne dans ses écrits que la cité fut nommée Athymbra
lors d’une implantation antérieure au 6e siècle av. notre ère et ce
nom fut conservé jusqu’au début du 2e siècle av. notre ère comme en
attestent des pièces de monnaies.
Sa fondation est cependant attribuée au seleucide Antiochus
I Soter, descendant d'un diadoque d'Alexandre le Grand, qui régna de 281 à 261
av. notre ère et qui aurait donné à la cité le nom de l’une de ses épouses,
Nysa (par ailleurs jamais évoquée).
Des vestiges significatifs se partagent de nos jours le
site verdoyant d’une oliveraie et la visite se fait donc agréablement ombragée.
W. Von Diest et son équipe ont réalisé les premières
fouilles archéologiques à Nysa en 1907 et 1909. Un premier plan topographique avait été publié à l’époque.
Auparavant, un Français était passé par là comme en témoigne l’un des panneaux explicatifs du site en reproduisant une gravure Laborde 1838 réalisée d’après un dessin de l’architecte Dedreux. Les ajouts en rouge matérialisant les ponts de la cité sont évidemment récents.
En 1921/22, l'archéologue grec K. Kourouniotis effectua
des fouilles dans l'Agora et le Bouleterion/Gerontikon qui furent le sujet d’un
rapport publié en 1924.
Le musée archéologique d'Izmir a effectué des fouilles
dans le Gerontikon et le Théâtre dans les années 1960. Entre 1982 et 1988, dans le cadre des
recherches de la Direction du Musée archéologique d’Aydın, les fouilles se sont
poursuivies dans le bâtiment de scène du Théâtre et des sculptures appartenant
aux façades de scène et des frises de podiums ont été découvertes.
Entre 1990 et 2010, des travaux de recherche, de fouilles
et de restauration ont été menés par Vedat İdil et Musa Kadıoğlu de
l'Université d'Ankara.
Depuis 2012, le musée d’Aydın s’y associe sous la direction de Serdar Hakan Öztaner de l’Université d’Ankara.
Sur plus de cent ans les recherches et documentations toujours en cours, ont permis de réveiller Nysa, endormie depuis au moins le 13e siècle, de parcourir ses axes se croisant régulièrement à angle droit dans un plan en damier alors même que la topographie des lieux à flanc de montagne ne s’y prêtait pas aisément.
Les diverses études ont révélé avec précision le système des
voies de communication de la cité à partir de l’avenue principale orientée est-ouest
qui traversait la ville via un pont près du stade dont les vestiges émergent
par endroit dans le maquis et qui la reliait aux autres cités de Carie, d'Ionie et
de Lydie. En contrebas du Théâtre les restes d’un tunnel canalisant la rivière
ont été recensés.
Deux autres ponts intégrés dans ce système reliaient les
bâtiments publics entre eux.
Les vestiges hellénistiques sont pour la plupart enfouis
ou ont servi à la reconstruction des architectures de la période impériale romaine
et romaine tardive qu’il va falloir denicher en suivant les indications.
Emblématique du site, le Théâtre de type gréco-romain est
l'un des édifices les mieux conservés de Nysa. Sa première construction remonte
au 1er siècle av. notre ère.
Il pouvait accueillir 12000 spectateurs dans sa cavea
dépassant le demi-cercle et composée de 23 rangées de sièges sous le diazoma et
26 au-dessus.
L’héliotrope blanc aux fragrances envoûtantes a envahi les gradins et participe au pouvoir de séduction du lieu, et pour cause, il est connu en cosmétique comme une
véritable effluve magique inspirant attirance et sympathie !
Le bâtiment de scène comptait initialement deux étages.
Effondré lors d'un tremblement de terre, il a été reconstruit avec un étage
supplémentaire entre 180 et 200. Le haut podium portant les frontons de la scène
était décoré de reliefs. Les nombreux vestiges ont permis de comprendre
l’histoire de la cité et ses mythes fondateurs. Les dieux du mont Olympe y
figurent, participant au mariage sacré entre la déesse Koré-Perséphone (fille de Zeus et Déméter)
et le dieu des Enfers, Hadès.
D’autre part, une procession de dieux accueille l’arrivée
de Dionysos considéré comme natif de Nysa où il fut élevé par Hermès. Le nom de
la cité est associé à d’autres cités pratiquant la culture de la vigne. Les
Grecs anciens croyaient que si l’on trouvait de la vigne à un endroit et que du
vin y était produit, c’est que Dionysos, dieu de l’ivresse et de la fête, y
était passé. Les fêtes célébrées en son honneur comprenaient des
représentations théâtrales mettant en scène les multiples récits mythologiques
concernant sa naissance, dont un qui fait de Dionysos, le fils de Perséphone.
Les sculptures et frises mises au jour lors des fouilles
sont exposées au musée d’Aydın. Sur place des répliques décorent aujourd’hui la
structure.
Le stade très partiellement dégagé, d’une capacité
estimée à 30000 spectateurs témoigne aussi de la vie culturelle de la
cité.
Mais son attrait tenait aussi à son centre d'études
spécialisé dans la littérature homérique et l'interprétation des épopées.
Du gymnase utilisé à des fins éducatives ne reste que
l’emplacement délimité par ses frondaisons.
L’agora grecque plus à l’est est bordée d’une avenue
importante et d’une stoa avec double rangée de colonnes d'ordre ionique sur
l’un des côtés, espace couvert public, marché et lieu de rencontre pour les
citoyens. Les portiques sud et ouest sont d'ordre dorique et comportent une
seule rangée de colonnes d’ordre dorique.
A proximité se trouve le Gerontikon/Sénat ou Conseil des
anciens, accessible par une porte monumentale, propylon, ouvrant sur une rue
principale.
A environ 3 km à l'ouest de Nysa se trouvait Akharaka, un
sanctuaire guérisseur nommé Plutonion
comprenant un temple d’Hadès/Pluton (dieu des Enfers) et Koré-Perséphone (enlevée
et épousée par Hadès) et une grotte remarquable produisant des exhalaisons fétides
appelée le Charonion ; Strabon (649-50) en donne un compte rendu circonstancié
de guérison. Il ne reste parait-il que peu de choses du temple, près du village
de Salavatli : une rangée de six tambours de colonnes non cannelées et quelques
autres blocs. Le Charonion, d'après le récit de Strabon, devait se trouver
quelque part au-dessus du temple, mais aucune grotte n'existe à cet endroit
aujourd'hui. A proximité se trouve cependant un profond ravin, dans lequel
s'écoule le ruisseau sulfureux, Sarı su, qui a donné au lieu ses propriétés
curatives, depuis la plus haute Antiquité.
Sources