samedi 22 mars 2025

Au jardin du souvenir, toi aussi

 

Avant-hier débutait le printemps mais tu es partie sans attendre l’éclosion des bourgeons. Des fleurettes t'accompagneront au jardin du souvenir et bien au delà parsemant tous les jardins du monde.
Après-demain marquera la date anniversaire de ta naissance et tes bougies seront soufflées par le vent… 

De longues années, sans doute la plus fidèle lectrice de ce blog, te revient cette place d'honneur entre ces pages. Bon voyage ma jolie Maman.


vendredi 14 février 2025

Rétrospective Suzanne Valadon à Beaubourg

 
Au tournant des 19e et 20e siècles, dans le foisonnement artistique de Montmartre, essentiellement masculin, une figure féminine a réussi à se faire une place dans le paysage. En témoigne aujourd’hui l’atelier-appartement reconstitué au 12, rue Cortot que Suzanne Valadon (1865-1938) occupa dès 1896 avec Paul Mousis son premier mari, ami du compositeur Eric Satie, puis à partir de 1912 avec son fils Maurice Utrillo, et son compagnon André Utter.


La Chambre bleue, huile sur toile, 1923

L’affiche de l’exposition reproduit un détail du tableau. Sur le thème des odalisques alanguies, Valadon en propose une représentation qui s’en éloigne radicalement. Une femme habillée d’un vêtement confortable est nonchalemment alongée et sa posture évoque un moment de détente juste pour elle-même et non pour plaire ou être admirée.


Modèle recherché de peintres célèbres, elle ne se contenta pas de poser pour Puvis de Chavannes, Auguste Renoir, Henri de Toulouse-Lautrec, et bien d’autres dès ses 14 ans, mais s’appliqua à observer attentivement les maîtres.
Edgar Degas apprécia ses dessins et l’encouragea dès 1883.
L’exposition qui lui est consacrée à Beaubourg jusqu’au 26 mai 2025, retrace le parcours singulier de l’artiste en marge des courants artistiques de son époque.


Dessins et peintures, près de 200 œuvres ont été réunies pour témoigner de son attachement à la représentation du réel à travers des autoportraits, des compositions mettant en scène sa famille, ses amis et connaissances sans complaisance. Beaucoup appartiennent aux collections nationales, notamment celle du Centre Pompidou, du musée d’Orsay et de l’Orangerie. Des prêts exceptionnels du Metropolitan Museum of Modern Art de New York, de la Fondation de l’Hermitage et de quelques collections privées viennent compléter la présentation.


Mon portrait, 1894, encre de Chine sur papier, collection musée de Montmartre


Ses premières peintures seront réalisées à partir de 1892 dont ce portrait du compositeur et pianiste Eric Satie réalisé en 1892-93. Après six mois de relation passionnée la séparation du couple inspire au musicien une partition obsédante, Vexations, retrouvée à son domicile après sa mort.

Suzanne Valadon observe les personnes qu’elle côtoie au quotidien, et brosse ainsi les portraits de son fils et de sa mère, de sa nièce Marie Coca et sa petite nièce Gilberte.


Portrait de famille, huile sur toile, 1912. Valadon est elle-même au centre de la composition entourée de sa mère, de son amant André Utter et de son fils Maurice Utrillo.



Grand-mère et petits fils, huile sur carton, 1910


La poupée délaissée, 1921 et Marie Coca et sa fille Gilberte, 1913


Adam et Eve, huile sur toile, 1909. Ce tableau représente l’artiste et André Utter. La ceinture de feuilles de vigne fut rajoutée plus tard à la demande des organisateurs du Salon des Indépendants en 1920.


La Venus noire, huile sur toile, 1909 . Sans trace d’exotisme ni de condescendance, le corps athlétique de la femme est représenté dans la posture fière d’une déesse romaine.



Le Lancement du filet, 1914, toile monumentale rappelant dans sa composition La Danse de Matisse, et étude préalable au fusain sur papier calque.

Suzanne Valadon peint des nus en sortant des carcans sociaux et artistiques, artiste masculin/ modèle féminin nu. Elle peint des corps féminins et masculins pour eux-mêmes et non pour le désir d’un spectateur voyeur.
En parallèle quelques toiles d’autres artistes, suggèrent les influences artistiques de Valadon



Cézanne,
Cinq baigneuses, 1878 



La composition de Valadon : La Joie de vivre, 2011, au titre inspiré de la toile de Matisse réalisée en 1905



La Petite Fille au miroir, huile sur toile, 1909


Autoportrait aux seins nus, huile sur toile, 1931

La notoriété, reconnue par les marchands et la critique, se précisant à partir de 1920, Suzanne Valadon entame une série de portraits de personnes de son entourage.


Portrait de Nora Kars, une amie ;


Portrait de Germaine Eisemann, 1924, son élève ;



Portrait de Miss Lily Walton, huile sur toile, 1922,


Femme à la contrebasse, huile sur toile, 1915

Plus rarement, quelques hommes qui ont compté dans sa vie comme le Dr Robert Le Masle, Louis Moyses, Paul Petrides et un voisin montmartrois, ami d’Utrillo, le chimiste Richmond Chaudois.


Portrait de Richmond Chaudois, huile sur toile, 1931


Portrait de Maurice Utrillo, 1921, son fils, tenant fermement une palette et un piceau sous le regard d’une mère.

Elle a peint aussi des natures mortes, des bouquets et des paysages aux couleurs vibrantes.


La Boite à violon, 1923. On reconnait à l’arrière plan une partie de son grand tableau Le Lancement du filet qui permet d’identifier le lieu comme l’atelier de Valadon.


Vase de fleurs, huile sur toile, 1934


Le Jardin de la rue Cortot, 1928

Valadon se décrivit ainsi à l’historien de l’art Germain Bazin : "Formation : Libre - Talent inné, exceptionnellement douée. Principales étapes de la vie artistique : Dessina dès 1883, ses débuts, comme une enragée, non pour faire de beaux dessins pour être encadrés, mais de bons dessins pour surprendre un instant de vie, en mouvement, tout en intensité."


Sans doute l’une des dernières occasions de voir une exposition à Beaubourg avant longtemps, puisque la fermeture du Centre Pompidou pour cinq années de rénovation/restauration est programmée en septembre 2025.


Pas sûr que la place Igor Stravinsky toute proche soit encore accessible dans ce contexte. Autant ne pas attendre pour y admirer la fontaine et ses sculptures métalliques colorées et animées, créations en 1983 de Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle évoquant les compositions du musicien, ainsi que plusieurs œuvres d'art urbain ultérieures, Chuuuttt !!! Pochoir de Jef Aérosol ; Knowledge + Action = Power de Shepard Fairey alias OBEY; et la plus grande mosaïque d’Invader réalisée à Paris.

Sources
Et les fiches muséales de l’exposition

vendredi 7 février 2025

La Maison - Musée de Balzac

Le thermomètre ayant du mal à franchir la barre des 2 degrés sous le ciel de Paris, c’est le moment de se mettre à l’abri en s’invitant dans les demeures imprégnées de l’esprit créatif, du génie littéraire de leurs illustres locataires. Après celle de Victor Hugo au cœur du Marais, nous en découvrons une autre dans un tout autre environnement.


Accrochée au flanc d’un abrupt coteau du village de Passy encore situé hors Paris avant son inclusion au 16 e arrondissement en 1860, cette ancienne demeure de Balzac (1799-1850) est une dépendance d’un domaine plus vaste, dernier vestige de la folie Bertin datant du 18e siècle. L’écrivain, coutumier des déménagements pour fuir ses créanciers, y trouva refuge de 1840 à 1847 sous le pseudonyme de M. de Breugnol. Il occupa le 2e étage en partie en rez-de-jardin. Deux accès situés l’un en haut rue Raynouard et l’autre plus bas rue Berton, lui permettait de s’échapper en toute discrétion en cas de nécessité.
Une première tentative de création d’un musée est due à Louis Baudier de Royaumont qui loua cet appartement et inaugura l’ouverture au public en juillet 1910. En 1949 la maison et son jardin deviendront la propriété de Paris classée aux monuments historiques. A partir de 1960 le musée est ouvert périodiquement au public.
Les derniers aménagements des lieux pour les rendre plus accessibles aux visiteurs sont récents (2019). Le portail de la rue Raynouard est condamné et on ne descend plus l’escalier emprunté par Balzac pour accéder au jardin et à la maison. Une structure a été ajoutée sur la rue abritant billetterie, bibliothèque et  café. La visite est en principe gratuite à l’exception des périodes d’expositions temporaires indissociables des collections permanentes (ce qui est le cas en ce moment jusqu’au 30 mars 2025)



Peu de mobilier d’origine mais la mise en scène muséale évoque d’emblée les regards portés sur le romancier avec l’affichage de nombreux  commentaires de ses contemporains, parfois admirateurs, mais aussi moqueurs et pour certains peu élogieux !


Les bustes le représentant, dont celui sculpté en 1899 par Alexandre Falguière, semblent totalement insensibles à ces critiques, lui qui a inlassablement analysé et décrit les ressorts des relations sociales dans les plus de quatre-vingt-dix romans et nouvelles parus de 1829 à 1855, réunis sous le titre de La Comédie humaine et élaborés dans une construction colossale et quasi architecturale.


Honoré de Balzac dresse ainsi lui-même son portrait en quelques lignes.


La critique ne fut pas tendre non plus pour Auguste Rodin qui représenta l’écrivain en robe de chambre (sa tenue habituelle d’écriture): Le Monument à Balzac, modèle en plâtre réalisé entre 1891 et 1897. Jugée trop éloignée des canons académiques, la commande ne fut pas validée pour sa réalisation en bronze. On peut voir au musée Rodin, la statue en fonte coulée en 1935 pour les collections du musée et ici un écho des réactions très virulentes de l’époque.



Balzac a écrit quelques-uns de ses plus beaux romans assis dans ce fauteuil et sur cette table, enveloppé dans sa tenue confortable: Une ténébreuse affaire, La Rabouilleuse, Splendeurs et misères des courtisanes, La Cousine Bette, Le Cousin Pons, etc.


Tablier de cheminée et bibliothèque faisant partie du cadre du cabinet de travail.


Les personnages de La Comédie humaine





Plaques typographiques réalisées par Charles Huard (1874-1965), ayant servi à l’illustration d’une édition complète des œuvres balzaciennes.



Entre 1820 et 1850 : Adam, Daumier, Gavarni, Grandville, Monnier, Wattier etc. illustrent les propos de Balzac.


D’autres caricatures sont exposées dans le cadre de l’exposition temporaire, Illusions (conjugales) perdues, accessible à l’étage inférieur. Elle fait référence au titre Illusions perdues, l'un des plus longs romans de La Comédie humaine d'Honoré de Balzac, publié en trois volumes entre 1837 et 1843, faisant partie du vaste ensemble des Études de mœurs, dans la section Scènes de la vie de province. La préface est dédiée à Victor Hugo. Balzac se serait inspiré de lui pour le personnage de Raoul Nathan, modèle de l’écrivain mondain réussissant dans tous les genres littéraires et songeant à une carrière politique. Les deux hommes ne se fréquentaient pas vraiment mais se respectaient et se reconnaissaient mutuellement  une certaine admiration littéraire.



Les dessinateurs contemporains de Balzac ont été très inspirés par le mariage et l’ont traité le plus souvent de manière humoristique et ironique. Leurs caricatures faisant écho aux citations de l’écrivain, à sa réflexion, à son empathie pour ses personnages féminins donnent toute la mesure de l’ampleur des conséquences de ces unions arrangées par les convenances sociales et financières et des situations dramatiques qui en résultaient surtout pour les femmes. Le sujet est abordé dès ses premiers écrits : La Physiologie du mariage. Certains thèmes comme le viol conjugal, le harcèlement, les violences physiques et verbales sont regrettablement toujours d’actualité. 


Pour ces visiteurs, le temps de la réflexion serait-il venu ?



Avant de quitter les lieux, un petit tour par la cuisine n’a d’autre intérêt que d’ouvrir une minuscule fenêtre (en l’occurrence une porte de placard !) sur la vie privée de Balzac.



Le choix d’avoir ainsi relégué l’évocation de ces femmes qui ont partagé des moments intimes de sa vie, dans un endroit si symboliquement négatif est de très mauvais gout et ne correspondant en rien à la réflexion balzacienne sur la condition des femmes. Il me semble plutôt qu’il a contribué à les faire sortir du placard !


Le portrait de la mère de Balzac se retrouve lui aussi dans cette pièce étriquée. Laure Sallambier (1778-1854), fille de négociants parisiens, épouse à dix-neuf ans le quinquagénaire Bernard-François. Né de cette union mal assortie, Honoré de Balzac aura des relations difficiles avec sa mère qui n’a apparemment pas la fibre maternelle et aucune prédisposition à se laisser enfermer dans une cuisine !


Les clichés ont décidemment la vie dure ! Il est temps de prendre une grande respiration et un peu de hauteur afin de profiter de la vue.


Honoré de Balzac repose au cimetière du Père Lachaise. La sculpture en bronze est l'œuvre de David d'Angers.

Ouvert de 10h à 18h du mardi au dimanche
47, rue Raynouard, Paris 16e
Métro : La Muette (ligne 9) ; Passy (ligne 6)

Sources