vendredi 25 octobre 2024

Nysa, une cité antique en Carie

 A 25 km d’Aydın en direction de Denizli, un panneau indique la présence de la cité antique au niveau de Sultanhisar. Après avoir bifurqué vers le village, il suffit de suivre les flèches sur environ 3 km.


Mais Sultanhisar réserve une surprise aux curieux. Sur la droite du passage à niveau un vestige d’une époque révolue bien plus proche de nous que les ruines antiques qui ont motivé notre visite : une rutilante locomotive à vapeur.
Selon TCDD, compagnie des Chemins de fer de la République de Turquie, la première ligne réalisée sur les terres anatoliennes a été établie entre Izmir et Aydın avec une concession accordée aux Britanniques en 1856.
Sur cette ligne toujours en activité il existe d’ailleurs un musée à Selçuk, petite ville plus connue pour sa proximité avec la cité antique d’Ephèse. Pour les amateurs, ce musée situé dans le quartier de Çamlık, ancienne gare, réunit 32 locomotives à vapeur de la compagnie TCDD exposées depuis 1997, dont la plus récente a été produite en 1952. S’y trouve aussi une locomotive à vapeur de fabrication britannique avec une chaudière à bois, modèle 1887.
Celle de Sultanhisar adresse un clin d’œil aux touristes de passage, comme une invitation à en savoir plus sur ce moyen de transport emprunté sans doute par quelques voyageurs déjà intéressés par les nombreux vestiges archéologiques de la région: Aphrodisias, Stratonikeia, Lagina, Alabanda et Alinda, Iassos, Bargylia, Cnide, Didymes, Héraclée du Latmos, Euromos, Labraunda…


Ce qui nous ramène à la destination de notre escapade : Nysa


Cité carienne à la limite de la frontière sud de la Lydie antique, elle est située dans la vallée fertile du Méandre dont un affluant s’écoulait par un profond ravin, partageant la ville en deux comme la décrivait dans son célèbre ouvrage "Geographica", le géographe Strabon d'Amasya (64 av. notre ère/ 24 de notre ère) ayant étudié à Nysa et la qualifiant de "ville double".
Il mentionne dans ses écrits que la cité fut nommée Athymbra lors d’une implantation antérieure au 6e siècle av. notre ère et ce nom fut conservé jusqu’au début du 2e siècle av. notre ère comme en attestent des pièces de monnaies.
Sa fondation est cependant attribuée au seleucide Antiochus I Soter, descendant d'un diadoque d'Alexandre le Grand, qui régna de 281 à 261 av. notre ère et qui aurait donné à la cité le nom de l’une de ses épouses, Nysa (par ailleurs jamais évoquée).


Des vestiges significatifs se partagent de nos jours le site verdoyant d’une oliveraie et la visite se fait donc agréablement ombragée.
W. Von Diest et son équipe ont réalisé les premières fouilles archéologiques à Nysa en 1907 et 1909. Un premier plan topographique avait été publié à l’époque.


Auparavant, un Français était passé par là comme en témoigne l’un des panneaux explicatifs du site en reproduisant une gravure Laborde 1838 réalisée d’après un dessin de l’architecte Dedreux. Les ajouts en rouge matérialisant les ponts de la cité sont évidemment récents. 
En 1921/22, l'archéologue grec K. Kourouniotis effectua des fouilles dans l'Agora et le Bouleterion/Gerontikon qui furent le sujet d’un rapport publié en 1924.
Le musée archéologique d'Izmir a effectué des fouilles dans le Gerontikon et le Théâtre dans les années 1960.  Entre 1982 et 1988, dans le cadre des recherches de la Direction du Musée archéologique d’Aydın, les fouilles se sont poursuivies dans le bâtiment de scène du Théâtre et des sculptures appartenant aux façades de scène et des frises de podiums ont été découvertes.   
Entre 1990 et 2010, des travaux de recherche, de fouilles et de restauration ont été menés par Vedat İdil et Musa Kadıoğlu de l'Université d'Ankara.



Depuis 2012, le musée d’Aydın s’y associe sous la direction de Serdar Hakan Öztaner de l’Université d’Ankara.


Sur plus de cent ans les recherches et documentations toujours en cours, ont permis de réveiller Nysa, endormie depuis au moins le 13e siècle, de parcourir ses axes se croisant régulièrement à angle droit dans un plan en damier alors même que la topographie des lieux à flanc de montagne ne s’y prêtait pas aisément.




Les diverses études ont révélé avec précision le système des voies de communication de la cité à partir de l’avenue principale orientée est-ouest qui traversait la ville via un pont près du stade dont les vestiges émergent par endroit dans le maquis et qui la reliait aux autres cités de Carie, d'Ionie et de Lydie. En contrebas du Théâtre les restes d’un tunnel canalisant la rivière ont été recensés.



Deux autres ponts intégrés dans ce système reliaient les bâtiments publics entre eux.




Les vestiges hellénistiques sont pour la plupart enfouis ou ont servi à la reconstruction des architectures de la période impériale romaine et romaine tardive qu’il va falloir denicher en suivant les indications.




Emblématique du site, le Théâtre de type gréco-romain est l'un des édifices les mieux conservés de Nysa. Sa première construction remonte au 1er siècle av. notre ère.


Il pouvait accueillir 12000 spectateurs dans sa cavea dépassant le demi-cercle et composée de 23 rangées de sièges sous le diazoma et 26 au-dessus.


L’héliotrope blanc aux fragrances envoûtantes a envahi les gradins et participe au pouvoir de séduction du lieu, et pour cause, il est connu en cosmétique comme une véritable effluve magique inspirant attirance et sympathie !




Le bâtiment de scène comptait initialement deux étages. Effondré lors d'un tremblement de terre, il a été reconstruit avec un étage supplémentaire entre 180 et 200. Le haut podium portant les frontons de la scène était décoré de reliefs. Les nombreux vestiges ont permis de comprendre l’histoire de la cité et ses mythes fondateurs. Les dieux du mont Olympe y figurent, participant au mariage sacré entre la déesse Koré-Perséphone (fille de Zeus et Déméter) et le dieu des Enfers, Hadès.
D’autre part, une procession de dieux accueille l’arrivée de Dionysos considéré comme natif de Nysa où il fut élevé par Hermès. Le nom de la cité est associé à d’autres cités pratiquant la culture de la vigne. Les Grecs anciens croyaient que si l’on trouvait de la vigne à un endroit et que du vin y était produit, c’est que Dionysos, dieu de l’ivresse et de la fête, y était passé. Les fêtes célébrées en son honneur comprenaient des représentations théâtrales mettant en scène les multiples récits mythologiques concernant sa naissance, dont un qui fait de Dionysos, le fils de Perséphone.
Les sculptures et frises mises au jour lors des fouilles sont exposées au musée d’Aydın. Sur place des répliques décorent aujourd’hui la structure.


Le stade très partiellement dégagé, d’une capacité estimée à 30000 spectateurs témoigne aussi de la vie culturelle de la cité.
Mais son attrait tenait aussi à son centre d'études spécialisé dans la littérature homérique et l'interprétation des épopées.
Du gymnase utilisé à des fins éducatives ne reste que l’emplacement délimité par ses frondaisons.




Par contre la bibliothèque avec ses 16 étagères à manuscrits est assez bien conservée. Construite vers 130 sur trois étages, elle servait aussi de salle de réunion, de salle d'audience et conservait des archives au niveau supérieur.




De la vie politique, sociale et commerciale de la cité subsiste l’emplacement du forum romain à proximité du théâtre avec des vestiges de sa basilique civile, édifice destiné à abriter des audiences judiciaires, des assemblées publiques, et accessoirement en périphérie des activités commerciales abritées. 
  




L’agora grecque plus à l’est est bordée d’une avenue importante et d’une stoa avec double rangée de colonnes d'ordre ionique sur l’un des côtés, espace couvert public, marché et lieu de rencontre pour les citoyens. Les portiques sud et ouest sont d'ordre dorique et comportent une seule rangée de colonnes d’ordre dorique.





A proximité se trouve le Gerontikon/Sénat ou Conseil des anciens, accessible par une porte monumentale, propylon, ouvrant sur une rue principale.


Reconstruit au 2e siècle par un riche citoyen Sextus Iulius Antoninus Pythodoros de Nysa, il pouvait accueillir 700 personnes sur ses gradins.

A environ 3 km à l'ouest de Nysa se trouvait Akharaka, un sanctuaire guérisseur  nommé Plutonion comprenant un temple d’Hadès/Pluton (dieu des Enfers) et Koré-Perséphone (enlevée et épousée par Hadès) et une grotte remarquable produisant des exhalaisons fétides appelée le Charonion ; Strabon (649-50) en donne un compte rendu circonstancié de guérison. Il ne reste parait-il que peu de choses du temple, près du village de Salavatli : une rangée de six tambours de colonnes non cannelées et quelques autres blocs. Le Charonion, d'après le récit de Strabon, devait se trouver quelque part au-dessus du temple, mais aucune grotte n'existe à cet endroit aujourd'hui. A proximité se trouve cependant un profond ravin, dans lequel s'écoule le ruisseau sulfureux, Sarı su, qui a donné au lieu ses propriétés curatives, depuis la plus haute Antiquité.

Sources


lundi 30 septembre 2024

Une passerelle suspendue dans les arbres au parc de Yıldız

Istanbul, ville tentaculaire, est certes connue pour ses quartiers historiques mais aussi pour ses nouveaux quartiers d’affaires aux gratte-ciel impressionnants dont la tour Saphir qui depuis sa terrasse offre un point de vue exceptionnel.
Il ne faudrait pas croire cependant qu’elle est dépourvue de verdure. Des nombreux parcs bordant les deux rives du Bosphore on découvre des paysages plus apaisants. Ce sont les vestiges aménagés des bosquets qui recouvraient les collines autrefois. Pour n’en citer que quelques uns dans la trentaine recensée : Gülhane, Emirgan, Haciosman, Maslak

                                         
Facilement accessible car situé à proximité du quartier Beşiktaş, le parc de Yıldız avec ses 46 hectares s'étend en pente depuis le palais Yıldız jusqu’au palais Çirağan en bordure du Bosphore.


Sensiblement de la même superficie que le parc d’Emirgan, il est  l'un des premiers parcs ouverts au public à Istanbul, en 1950. (Avant lui, le parc de Gülhane en 1912)
Pendant le règne du sultan Abdulhamid II (1876-1909) le bosquet était inclus au jardin impérial. Depuis les hauteurs la vue est très appréciée des promeneurs comme elle l’était par le sultan depuis le balcon supérieur du chalet Cihannuma kasrı, que l’on a pu voir dans l’enceinte du palais Yıldız, isolé à l’une des extrémités du jardin.


On peut voir ici sa façade arrière côté Bosphore surplombant le haut mur séparant le parc et le complexe impérial communiquant autrefois par un portail aujourd’hui condamné.


Le parc très vallonné est agrémenté d’une végétation abondante et variée, colorée au fil des saisons par les floraisons des magnolias, des arbres de Judée, des marronniers d’Inde, et des parterres de tulipes, jacinthes et primevères au printemps. S’y trouvent aussi des tilleuls argentés, des lauriers, des frênes, des cyprès, des pins, des ifs, des cèdres et des chênes dont certains plusieurs fois centenaires.


Les lieux sont aussi très appréciés par les chats que l’on croise un peu partout sur les sentiers de promenade.





Une longue passerelle suspendue se faufile dans la canopée et constitue un atout de charme, offrant depuis quelques points d’observation une vue dégagée sur le plan d’eau où barbotent des canards, des oies, des tortues, dévoilant ici et là une cascade, un petit pont…


La tête près des houppiers, il est même possible d’apercevoir quelques perruches vertes jacassant sur une branche, quelques passereaux sautillants ou un écureuil en plein exercice d’acrobatie pour regagner son nid… Elle n’existait pas à mon dernier passage remontant à bien des années.


Des aires aménagées de tables et de bancs en font un lieu de pique-nique populaire, surtout le week-end, d’autant plus que les aires de jeu pour enfants se sont modernisées et multipliées.
Les pavillons ottomans (Çadır et Malta) ne sont apparemment plus occupés par des cafés et restaurants, assez peu respectueux de ces bâtisses historiques. Des constructions récentes abritent désormais des cafeterias les remplaçant dans ces fonctions.


Le pavillon Çadır construit en 1871 à la demande du sultan Abdülaziz (1861-1876) se mire dans l'eau de son grand bassin.



Et puis, il est soudain voilé par des jets d’eau.


Façade arrière plus austère… Une plaque indique que derrière ces volets clos fut détenu Midhat pacha, Grand vizir, suspecté par le sultan Abdulhamid II d'être complice du meurtre de son prédécesseur le sultan Abdülaziz, et condamné à mort dans un procès douteux. Il y resta du 22 mai au 22 juillet 1881 avant d’être gracié et conduit à la forteresse de Taëf en Arabie Saoudite où il fut assassiné dans sa cellule en 1883.

La manufacture de porcelaine de Yıldız en restauration n’est actuellement pas accessible, mais ce sera l’occasion de revenir pour une autre flânerie dans ce parc accueillant.