jeudi 21 juillet 2016

Les maisons à boutons d’Ormana

En pleine nature, loin des foules, voici une escapade qui peut aider à évacuer en partie le stress que nous impose l’actualité.
Il y a un peu plus d’un mois, nous étions à Ormana. Un impérieux besoin de changer d’air nous avait lancé sur la route en direction de la province d’Antalya au Sud de la Turquie. Mais cette fois ni les plages, ni les sites archéologiques (Aspendos, Perge, Termessos, Olympos, Phaselis…) n’étaient au programme.
Nous avons fait halte dans un village blotti quelque part sur les pentes occidentales de la chaîne du Taurus, au sud de Beyşehir, et près de la ville d’Akseki, dont on nous avait vanté l’exceptionnelle beauté tant de son cadre naturel que de la curieuse architecture de ses maisons.
La route est longue depuis Istanbul, environ 750km, mais en partant tôt le matin, on peut y arriver dans l’après midi, en s’offrant même le luxe de faire plusieurs pauses, dont celle-ci en passant dans la région de Afyonkarahisar et combler ainsi une lacune photographique.



Que l'on arrive par le nord depuis Beyşehir, ou par le sud depuis Antalya, la petite route qui serpente dans la montagne offre son lot de spectaculaires paysages.


Et puis on arrive dans le village d’Ormana dont les habitants se sont employés depuis des années à faire reconnaître son originalité, en entretenant autant que possible dans le respect de l’architecture traditionnelle, les nombreuses maisons à boutons s’alignant le long des ruelles. 





Aujourd’hui les villageois sont fiers quand on compare avec celui de Safranbolu ce précieux héritage culturel. Près de 150 sont encore debout et une cinquantaine restaurées. Le village a bien sûr connu un important exode rural mais ses natifs ne l’ont pas complètement déserté. Certains reviennent occasionnellement, d’autres plus durablement pour participer à sa résurrection en employant la main d’œuvre locale tant pour la restauration des maisons que pour y développer des activités touristiques respectueuses de l’environnement. Ormana Active, initiative de la famille Özgüven, en est l’illustration avec ses bâtisses restaurées (Berberoğlu Evi, Doğan Konağı, Aktepe Evi), offrant le gîte, le couvert et, sans supplément, un accueil chaleureux, sans compter l’énergie déployée à communiquer une passion. 



Cela passe de l’assiette bien garnie de produits frais locaux, à la chambre fleurant bon les boiseries de cèdre, à l’accompagnement pour les promenades dans le village ou excursions aux alentours.

Jane, que je connais depuis longtemps, nous fait découvrir les particularités des maisons à boutons. L’aspect caractéristique des façades a imposé cette appellation car dans l’empilage de pierres affleure, ou parfois dépasse largement, l’extrémité des poutres composant le squelette des constructions. 
Certaines pierres , visiblement récupérées aux alentours, attestent d'un passé antique quand Ormana s'appelait Erymna...



Des vestiges effondrés témoignent de la technique d’assemblage des matériaux sans aucune utilisation de mortier et de l’épaisseur d'environ 80 cm des murs ainsi réalisés par remplissage.



On remarque les pans coupés en bas des angles des façades pour faciliter le passage des chariots et animaux.

    
Le rez-de-chaussée faisait autrefois office d’étable et contribuait au chauffage naturel des pièces à l’étage où vivaient plusieurs générations d’une même famille. Apparemment pas de séparation entre hommes et femmes (haremlik-selamlık) comme on peut voir dans les maisons musées de Safranbolu ou de Bursa.




L’une d’elle fait office de Maison de la Culture et accessoirement d’hébergement touristique en cas de relative affluence. Si ses murs ont perdu en grande partie leurs boutons, l’intérieur recèle cependant d’authentiques boiseries et d’astucieux aménagements d’époque. 





On peut même y voir des éléments utilisés par les pompiers datant de la période ottomane. Inutile de préciser que dans cet environnement forestier et de par les éléments architecturaux des habitations, il était essentiel que les incendies éventuels fussent très rapidement maîtrisés !


Un peu plus loin, il ne manque aucun outil dans l'atelier du forgeron. Même le gros soufflet est en état de fonctionnement.



Il est temps d’aller goûter aux spécialités cuites dans le grand four à bois de la Berberoğlu Evi, qui a gardé le nom de son ancien propriétaire.



Ensuite nous serons les hôtes de la chambre 318 dans la maison Doğan reconvertie en boutik otel, pour une bonne nuit au calme… interrompue quand même par le tambour du ramadan, puis l’appel du muezzin et le chant du coq au lever du soleil… Mais de toute façon, la grasse matinée n’était pas au programme. Attention aussi en passant la porte. Les dimensions sont d'origine et les hauts gabarits devront un peu courber l'échine sous peine de se décorer le front d'une belle bosse.




Il nous restait encore à découvrir les alentours. A lire dans un prochain article...

   

mardi 19 juillet 2016

Entre deux rives, entre deux tourmentes

Alors qu’en hommage aux victimes de l’effroyable carnage du 14 juillet à Nice, les ponts suspendus au dessus du Bosphore arboraient les couleurs du drapeau français, leur occupation soudaine par des militaires et les files interminables de véhicules immobilisés furent pendant de longues heures les seules images illustrant la tentative de coup d’état en cours le soir du 15 juillet en Turquie et réprimée quelques heures plus tard. 
Depuis les deux pays se sont repliés chacun sur leur drame national, pleurent les morts, soignent les blessés, commentent et dissèquent les tragiques événements pour tenter d'expliquer comment et pourquoi de telles atrocités sont possibles. 
On voudrait comprendre, mais trop de questions restent sans réponses, et beaucoup le resteront probablement encore longtemps. Alors la douleur fait inévitablement place à la colère, et l'agressivité remplace rapidement la stupéfaction et l’accablement.
Il va être bien difficile de garder l'espoir d'un avenir meilleur dans ce contexte haineux et son cortège de représailles, de vengeances. 
Où sont les abris anti-folie meurtrièreOù sont les sorties de secours? 

Dans ces moments troubles, on peut trouver un certain réconfort à la lecture du roman autofiction de Yiğit Bener, Le Revenant, Actes Sud 2015. Il sait de quoi il parle puisque le coup d'état en septembre 1980 l'a profondément marqué et qu'il en tire une philosophie sereine.
Citation:
"Être revenant, c’est l’art de tirer les leçons des coups que l’on a reçus. Une école qui nous purge du vice de l’orgueil.
Le revenant ne peut regarder les orgueilleux obnubilés par le pouvoir autrement qu’avec commisération. Leur existence est bien pathétique. Ils n’ont de cesse d’enfoncer les têtes de leurs subalternes, puis de se fondre en courbettes devant leurs supérieurs : coincés entre la frustration de ne pouvoir surpasser celui d’en haut, et la crainte d’être supplanté par celui d’en bas… Une vie de tourments, en mobilisation générale permanente pour une guerre sans fin, sans vainqueur… Tant de fatigue pour de telles indignités !
Le revenant ne perd pas son temps avec ce genre de pitreries. D’avoir lui-même brusquement perdu tout pouvoir, il a eu la révélation qu’il n’était qu’un minuscule point dans l’univers, de surcroît bien éphémère, et a perçu l’absurdité de la course à un pouvoir si volatil."



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