Dans le parc de Gülhane (la
roseraie), les jardiniers s’activent sur les plates-bandes.
Les rosiers sont
taillés, les primevères et les pensées donnent les premières touches de
couleurs, tandis que les feuilles sortent des bulbes de tulipes.
Les grands platanes dénudés
accueillent les nids ébouriffés des hérons cendrés s’apprêtant à couver.
Sur la droite, les
architectures du Çinili Köşk et de quelques pavillons du palais de Topkapi ne sont
pas encore cachées par les feuillages. Et malgré le célèbre poème de Nazim Hikmet chanté par Cem Karaca "Ben
bir ceviz ağacıyım Gülhane parkında"
(Je suis un noyer dans le parc de
Gülhane), ces grands arbres n’en
sont pas…
Sur la gauche à l’entrée, le
kiosque (Alay Köşkü), construit sous Mahmut II pour remplacer un pavillon en
bois d’où le Sultan observait les défilés militaires et les dignitaires de la Sublime Porte , est désormais un Musée de la Littérature
et une bibliothèque.
Alay köşkü, côté avenue
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Alay köşkü, côté parc
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Un peu plus loin, les anciennes
écuries impériales du palais abritent depuis 2008 le Musée de l'Histoire des
Sciences et Technologies de l'Islam, but de la visite d’aujourd’hui.
Tout d’abord, on notera
l’effort particulier d’accessibilité par le plus grand nombre de visiteurs car
les textes explicatifs sont tous multilingues, en turc, anglais, allemand,
français et arabe. Et la lecture ne manque pas sur le parcours pour donner des informations à propos des maquettes, des reconstitutions réalisées pour la plupart d’après les
descriptions minutieuses trouvées dans les manuscrits des savants ou d’après
les originaux conservés.
Maquette du complexe hospitalier d’Edirne fondé en 1484
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Un hommage est rendu aux
orientalistes européens qui dès le 18e siècle ont tenté de démontrer
l’importance de l’apport scientifique des civilisations arabo-musulmanes, pour
n’en citer qu’un : Johann Wolfgang Goethe, puis quelques autres au 19e
siècle dont Ernest Renan et Eilhard Wiedemann. Ce dernier y a consacré une
grande partie de sa vie et a inspiré l’idée de reconstruire ces appareils et inventions
à l’Institut d’Histoire des Sciences Arabo-Islamiques de l’Université Johann
Wolfgang Goethe à Francfort sur le Main. Istanbul a souhaité présenter une
collection muséale semblable et ce vœu a été exhaussé grâce au Professeur Fuat
Sezgin, fondateur de l’Institut précédemment cité.
Dans le même esprit que
l’exposition itinérante du National Geographic Museum « 1001 inventions »
qui a été présentée à Londres, à Istanbul (du 18 août au 5 octobre 2010), à New
York, à Los Angeles et qui vient de fermer ses portes en février 2013 à
Washington, les maquettes et reproductions que l’on voit dans le musée d’Istanbul
révèlent l'épanouissement des sciences et de la technologie dans le monde
arabo-musulman du 9e au 17e siècle, dans les domaines de
l'astronomie, de la géographie, des mesures de précision concernant le temps et
la navigation, de la chimie, de l'optique, de la médecine, de l’agronomie, de
l'architecture, de la physique, des mathématiques, de la géométrie, de la minéralogie
et des arts militaires.
Reproduction de la clepsydre
monumentale de Fès, 14e siècle
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Les souverains musulmans ont
encouragé la recherche scientifique et la diffusion du savoir, la langue arabe réunissant
des savants de tous horizons. Héritiers des civilisations antiques, les érudits
de l’époque ont contribué aux perfectionnements et développements des sciences
et des techniques pendant que l’Occident médiéval connaissait ce que l’on a
coutume d’appeler les âges obscurs. Embourbé dans les guerres et l’extrémisme
religieux, il n’a retrouvé qu’à partir du 12e siècle une curiosité
scientifique en se tournant vers l’Orient, où l’on avait pendant ce temps bien
assimilé les connaissances, réutilisé des savoirs et innové considérablement, tout
en continuant dans la foulée une impressionnante progression dans les domaines
intellectuels de l’art et de l’écriture.
Ouvrons une parenthèse : je
me souviens de mon étonnement, dans les années 80, à constater combien les
technologies occidentales étaient en Turquie l’objet d’une irrésistible
attraction et d’une inconditionnelle admiration incluant les systèmes
économiques, politiques, éducatifs et la culture sous toutes ses formes. Le mot
« Avrupa » résumant à lui seul tous les bienfaits de l’humanité.
Je n’étais pas loin de me
sentir honteuse de ma situation de produit importé au même titre qu’un lave
linge dans l’esprit de certains, présentée comme « avrupalı gelin »,
certificat garantissant la qualité, et m’inquiétant de ce que l’on pouvait bien
attendre de moi… L’improvisation, à défaut de perfection, étant programmée sur
ma feuille de route !
Quelques sketches et chansons
plus tard, tournant en dérision l’attrait inconsidéré pour l’Europe, après quelques machines
produites localement faisant entrer progressivement la modernité dans presque
tous les foyers, j’ai commencé à me sentir plus à l’aise dans mon statut de
belle-fille étrangère.
Cela pour dire combien les
mentalités étaient conditionnées par la conviction de la supériorité des
cerveaux occidentaux, conviction honteusement entretenue et alimentée par ces
derniers qui depuis des siècles se proclament les champions du modernisme, les
seuls inventeurs dignes de respect, en oubliant de mentionner quelques détails
du parcours et quelques noms…
Le chimiste Jabir Ibn Hayyan (vers 800), le père de
l'algèbre et des algorithmes Al-Khawarizmi (780-850), l’astronome Al-Farghani (805-880),
le scientifique et poète Ibn Firnas (810-887) qui construisit la première
machine volante faite d'étoffe et de plumes, Al-Razi ou Rhazès qui créa vers
920 le premier hôpital, l'astronome et historien Al-Biruni (973-1050), le
philosophe et médecin Avicenne (980-1037) auteur d’une encyclopédie médicale,
Omar Khayyam (1047-1122) mathématicien et poète, le philosophe Averroès
(1126-1198), le médecin et théologien juif Maïmonide (1135-1204), l’ingénieur
Al-Jazari (1136-1206), le géographe et voyageur Ibn Battûta (1304-1377), l'historien
Ibn Khaldoun (1332-1406), l'amiral et cartographe ottoman Piri Reis, auteur
d’une carte tracée en 1513, et bien d’autres…
Ce musée n’a pas la prétention
d’attribuer aux seuls savants du monde arabo-musulman la paternité de toutes
les évolutions techniques contemporaines mais a le mérite d’attirer l’attention
sur leur importante contribution créative dans l'histoire universelle de la
science. Le message est clair : après avoir parcouru l’enfilade des salles
sur deux niveaux, on ne pourra plus se retrancher derrière l’excuse de
l’ignorance des faits.
Lanterne tempête, 9e
siècle
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Appareil de distillation pour
extraire l’eau de rose, 13e siècle
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Outre son intérêt éducatif, le
musée est agréable à visiter. Certains plafonds sont tendus de toiles imprimées
reproduisant des pages de manuscrits, des schémas. On peut reconnaître dans la
fresque lumineuse la dernière création du miniaturiste Nusret Çolpan (1952-
2008).
En sortant du musée, vous
pouvez aller à l’autre extrémité du parc, sur la butte, et faire une pause au
café en plein air afin de faire le point entre ce que vous saviez déjà et ce
que vous avez appris… réfléchir sur l’universalité de la curiosité, l'ingéniosité, pour reconnaître humblement que les découvertes sont le produit d’interactions et de
transmission entre différentes cultures… ou pour admirer le paysage.
Ouvert de 9h à 18h30. Fermé les mardis
Des amis ont visité ce musée il y a déjà un moment et ont été enchantés également, ton point de vue et tes photos me donnent l'envie d'y aller dès que j'en aurai le temps.
RépondreSupprimerCertains veulent y voir la vitrine d’une propagande islamiste. C’est à mon avis faire preuve d’une bonne dose de mauvaise foi. Comme il est rare de voir regroupées les réalisations et inventions des savants du Moyen-Orient, je pense que c’est une opportunité à ne pas négliger. Je serais intéressée de savoir ce que tu en penses dès que tu auras visité ce musée.
SupprimerBonjour
RépondreSupprimerMerci pour ce bel exposé sur le musée de l'Histoire des sciences et technologie en Islam ;étant moi-même Vice-Président d'une association de culture scientifique tunisienne ,je projette de faire visiter à un groupe d'une trentaine de lycéens en Juillet 2019 la ville d'Istanbul avec sa richesse culturelle et je pense qu'avec votre grande connaissance de cette belle ville ,vous pourriez peut etre nous aider à monter ce projet ; actuellement basé à Paris ,je serai heureux si vous pouviez partager avec nous ,pour le grand bonheur de nos enfants ,votre expérience et nous enrichir de vos précieux conseils.
Très Cordialement
Tahar Boughzala (taharboughzala@yahoo.fr ; 0623052465 )