Des représentants internationaux de l’art urbain qui
déploient leur talent depuis des années, voir plusieurs décennies,
l’affirment : « Nous sommes là ». Et le public a répondu :
nous aussi, justifiant une prolongation de l’évènement jusqu’au 19 janvier
2025.
Pourtant le Street art au Petit Palais, ressemble à un
oxymore. Incompatibilité des mots rue et institution culturelle. Contradiction
des concepts éphémère / pérenne, marginalité / notoriété, contemporain / classique… Mais peut être pas autant qu’il n’y parait !
Alors, quand les températures hivernales commencent à
rafraichir les rues de Paris, que les flâneries se font plus rares, tarissent les
occasions de partir le nez en l’air à la recherche des dernières œuvres qui auraient
pu fleurir sur les murs de la capitale, l’alternative peut s’avérer attrayante.
D’autant plus que sous les hauts plafonds majestueux se trouvent aussi bien des
œuvres empruntées aux collectionneurs que d’autres spécialement réalisées pour
l’événement.
Certes délocalisées de leurs lieux de création habituels mais
au chaud et à l’abri des intempéries, sur d’autres murs, les visiteurs peuvent
prendre le temps de les découvrir.
Plus qu’une exposition, une exploration est ici proposée
car si certaines, monumentales, s’affichent
sans retenue, il faut quand même être
attentif pour en découvrir d’autres, immergées parmi les collections
permanentes, s’intégrant si parfaitement qu’on les croirait là depuis longtemps,
ainsi le tableau de DaBro intitulé "Châtelet-les-Halles". Il
représente un danseur hip-hop dans la nuit à la façon des scènes de genre du 19e
siècle accrochées près de lui, mettant en évidence la place de l’artiste témoin
de son époque.
Sous les plafonds en boiseries ou sur des consoles d’autrefois,
dans le dédale des galeries du Petit Palais, égarons-nous dans ce jeu de piste.
Une bombe aérosol géante, symbole de l’art urbain, surgie du sol en mosaïque, impose d’emblée sa
présence avec insolence.
On reconnait les ailes du casque d'Astérix, signe distinctif adopté par D*Face, dont il a affublé plus loin les bustes facétieux de la reine
d’Angleterre et de Beethoven tirant la langue aux visiteurs. Les enfants y sont
particulièrement réceptifs. L’impertinence fut appréciée d’Elvan, mon petit
fils, grand amateur de grimaces, bien surpris d’en voir une démonstration au
musée.
La sculpture en bois et résine de Cléon Peterson (2024) évoque
la menace cyclique des pouvoirs politiques autoritaires, tandis que dans une
autre salle consacrée à la République, les artistes donnent leur interprétation
des dangers qui la guette, injustice, terrorisme, racisme et autres plaies générées
par l’intolérance.
Seth présente « La Tour de Babel », un
empilement de livres au sommet duquel un enfant atteint un plafond arc-en-ciel.
Livres anciens et résine, peinture acrylique et socle en chêne, 2018/2024.
Et il reprend le thème de l’enfant lecteur avec le Petit
Prince perché sur un globe constitué de livres. « Enfant, les livres me
faisaient voyager. Les images des écrans ne remplaceront jamais le pouvoir des
mots ». Très juste, mais on peut saluer la force évocatrice des illustrations de l'artiste.
A l’emplacement du Petit Palais se trouvait au 19e
siècle le palais de l'Industrie et des Beaux-arts, un édifice construit pour
l'Exposition universelle de 1855 et détruit en 1896. En 1863, une vaste salle
avait accueilli les artistes de l’avant-garde exclus des cercles académiques. Reconnus
comme des maitres aujourd’hui, Courbet, Renoir, Manet, Pissarro, Sisley, et
bien d’autres n’ont pas toujours été les bienvenus dans les salons officiels!
La salle Concorde constitue comme une réplique en hommage
à l’ancien « Salon des refusés » désigné ainsi par le public et la
presse de l’époque.
Y sont accrochées façon pêle-mêle, comme autrefois
dans ces lieux historiques, les œuvres d'artistes venus des quatre coins du
monde, Invader, Seth (France) ; D*Face, Hush (Royaume-Uni) ; Shepard
Fairey alias Obey, Cleon Peterson, Swoon (Etats-Unis), Vhils, Add Fuel
(Portugal), Inti (Chili), DaBro (Tunisie) ou Conor Harrington (Irlande).
Les alias d'Invader, répliques de ses « space
invader », voyagent un peu partout comme à leur habitude, parfois au-dessus des toiles de
maîtres, tel un clin d’œil sur soleil
couchant de Claude Monet par exemple.
Sous La Couronne de
la Nuit (2008), lustre contemporain de Jean-Michel Othoniel resté sur place
après son exposition en 2021, l’escalier se pare des couleurs pastels des carreaux
de céramique d’Add Fuel évoquant les azulejos portugais.
Mais ne nous y trompons pas, cette mosaïque colorée, se jouant de la diversité des styles et des influences, sous des apparences désinvoltes parfois, aborde les sujets les plus sérieux de
l’actualité.
Commissaire de l’exposition, Mehdi Ben Cheikh, galeriste
franco-tunisien d'art urbain et d'art contemporain, directeur et fondateur de
la Galerie Itinerrance à Paris et Annick Lemoine, directrice du Petit Palais.
Entrée libre et gratuite du mardi au dimanche de 10h à
18h.