dimanche 20 octobre 2013

La citadelle Yoros, observatoire sur le troisième pont du Bosphore

Pour appréhender les « projets fous » du gouvernement turc, il n’est pas inutile de prendre de la hauteur ! C’est la raison de cette énième promenade à l’extrémité nord du Bosphore sur la colline surplombant Anadolu Kavak, village de pêcheurs reconverti dans la restauration touristique. 


La grimpette conduit aux ruines d’un château fortifié byzantin renforcé par les Génois au 14e siècle et restauré par Mehmet le Conquérant. Il abrita une garnison puis une prison sous l’empire ottoman. On pouvait visiter la cour intérieure il n’y a pas si longtemps et y voir des armoiries byzantines et génoises, mais elle n’est plus accessible. Les deux tours témoignent de la robustesse de la citadelle Yoros et pour le reste il faudra convoquer ses souvenirs ou son imagination…
Du promontoire le regard, émerveillé autrefois, incrédule et attristé aujourd’hui, se porte sur l’embouchure de la mer Noire, théâtre de mythologiques aventures. 


La légende des Symplégades, ces roches flottantes qui s’entrechoquaient pour broyer les navires ayant l’audace de vouloir emprunter le passage n’impressionne plus personne depuis longtemps. Les rives, à Garipçe et Poyrazköy, sont déjà marquées des stigmates de la construction du troisième pont sur le Bosphore qui a commencé en mai 2013 et dont l’inauguration est programmée pour 2015. Les piliers qui s’élèveront à 325m et le tablier de 58m de largeur (8 voies routières et 2 ferroviaires) vont avoir du mal à se fondre dans le paysage. Exit le panorama verdoyant protégé jusqu’alors de l’urbanisation galopante car aux alentours du pont et du réseau autoroutier il serait utopique d’espérer que la forêt environnante puisse résister longtemps aux assauts de la spéculation immobilière…

Garipçe, sur la rive européenne
Poyrazköy, sur la rive asiatique
A l’heure où les Stambouliotes affrontent ce weekend d’inextricables embouteillages à l’occasion du retour de congés prolongés de la fête du sacrifice (kurban bayramı), on peut douter que ce troisième pont leur rende la vie plus facile à l’avenir.
La construction des deux précédents, pont du Bosphore (1973), entre Ortaköy (rive européenne) et Beylerbeyi (rive asiatique), et pont Fatih Sultan Mehmet (1988), entre Hisarüstü (rive européenne) et Kavacık (rive asiatique), était accompagnée de cet espoir. Croissance urbaine et  développement du parc automobile l’ont rapidement anéanti.
Les objections avisées de planificateurs urbains et d’architectes d’Istanbul, sur la construction et surtout sur le choix d’implantation du 3e pont, n’ont pas été entendues. Le dépit de n’avoir rien pu faire pour empêcher la réalisation de ce projet n’est surement pas étranger à la détermination de la contestation concernant la destruction du parc Gezi, place Taksim.

Je me souviens d’un dépliant qui vantait les beautés des colliers de perles du Bosphore. Il ne s’agissait pas de l’unique pont d’alors mais des Yalı, demeures élégantes bordant le détroit… Aujourd’hui Istanbul se prépare à suspendre à son cou un nouveau collier, scintillant comme les deux autres des illuminations multicolores qu’on lui réserve, sans doute, la nuit tombée… Parure supplémentaire qui pourrait bien être celle de trop et l’étrangler. 


Pour ceux que le sujet intéresse, un article à connotation moins sentimentale que le mien : 
Benoît Montabone et Yoann Morvan, "Istanbul : la carte du troisième pont sur le Bosphore.", EspacesTemps.net, Objets, 18.04.2011

2 commentaires:

  1. vous évoquez les projets fous du gouvernement. Vu de France, après avoir passé pour la première fois 10 jours à Istanbul en juillet, encore ce soir, 10 novembre, j'ai l'impression que le gouvernement actuel s'enfonce dans une dérive islamo-conservatrice qui vise à rompre les liens avec l'Europe.
    Les Stambouliotes sont merveilleux, ils donnent aux Français une leçon de tolérance et nous interrogent sur la question de la laïcité à la française. Mais un gouvernement qui non seulement développe les infrastructures sans prendre en compte l'aspiration de sa jeunesse la plus à même de porter le développement du pays, qui réintroduit les clivages hommes / femmes et qui en voyage officiel au Kosovo fin octobre déclare "la Turquie, c'est le Kosovo, le Kosovo c'est la Turquie" est très inquiétant. En juillet, logeant place Taksim et ayant vu les dernières manifestations, comme le ramadan, je me demandais quel était l'avenir de cette tolérance et modernité d'Istanbul. Erdogan la remet dangereusement en cause. Les manifestants sans relais politiques sont trop seuls. La Turquie peut dériver alors que les peuples de l'Union européenne développent aussi des replis et des populismes. Le risque de voir Istanbul rompre son équilibre existe-t-il ? A-t-elle la capacité à surmonter une forme de fanatisme d'Erdogan justifié par une Europe frileuse ?

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    1. Mon texte évoque effectivement la politique contestée des grands travaux menée par le gouvernement en place depuis plusieurs années ainsi qu’une certaine inquiétude pour l’avenir. Je n’ai bien évidemment pas la réponse à vos questions. Je m’efforce à garder simplement confiance en la capacité de discernement dont fait preuve une bonne partie de la population turque, et en sa détermination à protéger la laïcité. Bien cordialement

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