vendredi 18 janvier 2013

La Dame à La Licorne et le Prince Ottoman


Certaines œuvres attisent l’imagination qui échafaude les hypothèses les plus romanesques sur leur origine pour les auréoler de mystère. Exubérance du décor mille fleurs et d’un bestiaire surprenant, splendeur des vêtements, élégance des personnages, présence d’une licorne, animal fabuleux, ont concouru à l’irrésistible attrait provoqué par celle-ci, emblématique de l’art à la fin du Moyen-âge. 
La thèse retenue aujourd’hui n’a rien d’énigmatique malgré quelques incertitudes. Des études très sérieuses ont permis de retracer l’histoire de cet ensemble de tapisseries médiévales, attribuant à une famille lyonnaise, identifiée par les blasons, et plus particulièrement à Jean IV Le Viste, haut personnage de l’Etat sous Charles VIII, la commande exécutée vers 1480 probablement en Flandre d’après les dessins et cartons réalisés peut-être à Paris.
L’iconographie a fait l’objet de nombreuses interprétations mais, conventionnellement, la représentation allégorique des cinq sens (Le Goût, L’Ouïe, La Vue, L’Odorat, Le Toucher) a été retenue pour désigner les pièces. La sixième, nommée « A mon seul désir » d’après la devise inscrite au fronton du pavillon, est considérée comme une représentation d’un sixième sens, l’intelligence, le cœur ou la volonté permettant de ne pas succomber à l’attraction des autres. 

La vue : la dame tend un miroir à la licorne

Le goût : la dame prend une dragée pour l'offrir à un perroquet 

L'odorat : un singe respire le parfum d'une fleur pendant que la dame tresse une couronne 

L'ouïe : la dame joue de l'orgue 

A mon seul désir

George Sand vit en 1841 ces tapisseries au château de Boussac où elles étaient arrivées au 17e siècle après de successifs héritages, entreposées en très mauvais état et alors propriété de la commune. Elles furent rachetées par la Commission des Monuments Historiques qui confia les négociations au conservateur du musée de Cluny, Edmond du Sommerard, puis transférées à Paris en 1882 et restaurées aux Gobelins. Alors que la femme de lettres mentionne huit panneaux dans son livre "Jeanne", six sont effectivement arrivées à Paris. La série serait-elle incomplète ? Que pouvaient bien représenter les deux autres ?

George Sand fut évidemment conquise par la légende qui circulait à propos de la tapisserie, à une époque où la peinture et la littérature subissaient l’influence de l’orientalisme.
Elle précisait aussi dans son "Journal d'un voyageur pendant la guerre de 1870" que pour trois d’entre eux « La tradition prétend qu'ils ont décoré la tour de Bourganeuf durant la captivité de Zizime ».
En effet, une abondante littérature régionale véhiculait des récits dans lesquelles la fameuse tapisserie était associée à un évènement contemporain à sa réalisation et géographiquement assez compatible. Le département de La Creuse dans le Limousin fut le théâtre des tourments d’un prince turc.
A la mort de Mehmet II (Le Conquérant), ses deux fils se disputèrent sa succession. Cem (Djem ou Zizim en occident) fut vaincu par son aîné Beyazit et acculé à demander asile aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem sur l’île de Rhodes en 1482. Pierre d’Aubusson, grand maître de l’Ordre le fera partir en France en 1484 sous la protection ou plutôt la garde du commandeur Guy de Blanchefort, son neveu, qui fera construire la tour Zizim à Bourganeuf non loin d’Aubusson pour recevoir l’illustre otage. Il y restera en captivité de 1486 à 1488, après avoir été hébergé dans d’autres demeures du Dauphiné et du Limousin, et avant de partir en Italie où il mourra empoisonné à Naples le 24 février 1495.
Le destin tragique de ce prince ottoman enflamma les imaginations fertiles et on lui attribua des histoires galantes avec plusieurs dames durant son périple, dont Philippine de Sassenage dans le Dauphiné et Marie de Blanchefort, nièce de Pierre d’Aubusson, en Limousin. Cette dernière lui aurait inspiré la conception des esquisses de La Dame à La Licorne qui aurait été réalisée par des liciers d’Aubusson. Thèse étayée par des éléments du décor, tente, étendard aux trois croissants de lune, bassin en vue de son baptême et sa conversion au catholicisme par amour pour la belle… qui ne pouvait être que la hiératique dame de la tapisserie.  D’autres versions lui attribuent même le tissage des tentures, aidé de sa suite, pour tromper un mortel ennui ou noyer le chagrin d’un amour sans espoir. Enfin comme le rapporte George Sand, quelques panneaux auraient orné sa geôle…
Il est bien tentant de prêter une oreille complaisante à ces fabuleuses histoires qui nous plongent dans l’atmosphère fantastique du roman courtois épicée aux parfums de l'Orient des Mille et Une Nuits. 




Quels qu’en soient le commanditaire, le dessinateur inspiré, l’habile artisan, les significations cachées ou les personnages qui l’ont contemplé avant nous , La Dame à la Licorne reçoit les visiteurs dans un lieu propice à l’émerveillement, une salle ronde baignée de lumières tamisées de l'Hôtel de Cluny, résidence parisienne des abbés du monastère bourguignon, construit au milieu du 15e siècle dans le style gothique flamboyant, aujourd’hui Musée National du Moyen Âge.

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