Conquise depuis longtemps par les merveilles
architecturales et les décors envoutants des vestiges seldjoukides que je
découvris lors d’un voyage à Konya, il me tardait d’aborder cette étape de notre
traversée d’Ouest en Est de l’Anatolie, pour y voir enfin ce site exceptionnel,
listé au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1985.
Depuis 2015 fermée au public pour restauration et
consolidation de la structure jusqu'à ses fondations, la visite n’est de
nouveau accessible que depuis mai 2024.
Divriği, petite ville de 16 mille habitants, posée à
flanc de colline, située au beau milieu du plateau anatolien bordé de hauts sommets,
dans la vallée de la rivière Çaltı, affluent de l'Euphrate, à environ 150 km au
Sud-est de Sivas, n’est pas une destination touristique mais les curieux ne
doivent sous aucun prétexte manquer le détour !
Et ce ne sont pas les vestiges de la citadelle byzantine
de Téphrikè, datant du 9e siècle qui motivent le déplacement mais le
complexe religieux et hospitalier construit plus tard par les Turcs
seldjoukides, après la bataille de Manzikert en 1071 qui leur donna l’avantage sur
l’armée byzantine et leur permis d’occuper une bonne partie du territoire
anatolien, sous la forme de beylicats (émirats).
La Grande Mosquée de Divriği, Ulu Cami, fut édifiée en 1228-29 pour l’émir Ahmed Shah de la
dynastie des Mengücekides, tandis que la même année la maison de santé, Darüşşifa, fut commanditée par Melike Turan
Melek, son épouse, fille du Bey d'Erzincan, Fahreddin Behramshah. L’ensemble
forme une œuvre unique tant par la structure que par la décoration. Hürrem Shah
d'Ahlat en est le principal architecte,
mais d’autres noms sont à créditer à la construction du complexe dont celui
d’Ahmed Nakkaş Hilati, lui aussi de la ville d’Ahlat, qui aurait dirigé la réalisation
des décors sculptés, tandis qu'Ahmet, fils d'Ibrahim de Tbilissi, a gravé son nom sur l'étoile du mihrab réalisé en ébène.
Des inscriptions incluent des louanges au sultan
seldjoukide d’Anatolie, Kay Qubadh Ier (Alaeddin Keykubad, qui régna
de 1219 à 1237).
Contrastant avec la façade d’allure austère dévoilant une
construction monumentale percées de rares fenêtres s’impose d’emblée au regard
un portail aux dimensions impressionnantes, double niche comme creusée dans la
structure d’où émerge une exubérance de décors en haut relief dans une
technique proche de la sculpture.
S’y mêlent harmonieusement des motifs
végétaux, en particulier des fleurs de lotus, de roses et de tulipes, des
arabesques (entrelacs
de courbes ondoyantes, inspirées de formes végétales
stylisées), des arrangements géométriques d’étoiles (dont 22 sur le tympan), de losanges,
des calligraphies… Il faudrait s’attarder des heures pour en observer tous les
détails. On note que rien n’est parfaitement symétrique comme si chaque artiste
avait librement interprété un thème imposé par le maitre d’œuvre. On peut
imaginer qu’ils étaient nombreux, issus d’une population très cosmopolite ayant
une excellente connaissance du travail sur les pierres de la région. Ils ont
gravé leur savoir-faire dans une œuvre collective dont la réalisation a duré
une vingtaine d’années.
Certains détails décoratifs sont plus surprenants. Ainsi dans le coin droit de la photo ci-dessus on distingue les tresses d’une
coiffure féminine. Moins visible, on devine à gauche une autre figure humaine à
l’oreille percée d’un anneau. Les visages ont été très endommagés par des actes
de vandalisme évidents datés d’une époque lointaine.
Il est probable qu’ils
représentaient les commanditaires qui ont fait l’objet de recherches iconographiques.
Des artistes contemporains leur ont donné des traits
selon les archétypes de l’époque dans des compositions du style des miniatures.
Les photos ci-dessus proviennent d’un ouvrage illustré cité dans les sources en fin d'article.
Au delà des prouesses artistiques, certains détails témoignent
de techniques particulièrement élaborées. Ainsi, sous le tympan étoilé, la
colonne qui partage la fenêtre en deux est appelée « colonne d’équilibre ». Sa capacité
de rotation sur elle-même indiquait la stabilité de l’ensemble de l’architecture.
Elle a cependant perdu cette propriété après le séisme d’Erzincan en 1939.
Le seuil franchi on accède à la maison de santé, Daruşşifa. L’entrée conduit à un atrium délimité
par quatre imposants piliers soutenant un dôme avec un oculus, ouverture de
forme circulaire juste au-dessus d'un bassin hexagonal.
L’atrium se prolonge
sur trois iwan, celui face à l’entrée est le plus vaste. Il est couvert d'une voûte dont la clef est en spirale, encadrée d’éventails dont l’un évoque un paon faisant la roue.
Dans l’un des deux autres se trouvent les tombeaux d'Ahmet Shah, de son
épouse et de leur famille.
A noter le curieux déversoir en spirale du bassin central.
Simplement décoratif ou répondant à une fonction précise ? Je n’ai pas
trouvé la réponse.
Sur le pourtour se trouvent de petites salles que l’on
suppose réservées aux soins des patients.
L’espace, bien que plus sobrement décoré que son portail
spectaculaire, n’est pas exempt de prouesses architecturales.
Voûtes et colonnes présentent une multitude d’ornementations différentes reflétant le
talent et la créativité des artistes.
Découvrons maintenant la partie de l’édifice réservée au culte, et encore aujourd’hui lieu de prière, la grande mosquée, Ulu Cami, attenante mais non communicante à la maison de santé.
Sa façade Ouest s'ouvre sur un portail de
taille plus modeste percé dans l’encadrement d’une seule niche mais dont les
finesses de la décoration, la variété des motifs n’en sont pas moins
remarquables évoquant ceux d’un tapis de
prière.
De chaque côté du portail sont représentés l’aigle à deux têtes, emblème des sultans seldjoukides, et un faucon,
emblème d'Ahmet Shah.
Après avoir contourné l’unique minaret de la mosquée, rajouté
sous le règne de Soliman par l’architecte Mimar Sinan, on découvre un autre portail plus majestueux, parfois nommé porte du ciel. Les motifs végétaux
foisonnant évoquent le jardin d’Eden. C'est l'entrée pour les fidèles, tandis que l'autre est utilisé pour la sortie.
Le portail, dépassant le corps du bâtiment, est orné de motifs d’arbres de vie
et de rosettes, de tulipes et feuilles de lotus symbolisant l’éternité.
A l’arrière du complexe, une autre porte relativement plus sobre et
plus petite, transformée ultérieurement en fenêtre, était réservée au shah qui
devait se courber pour y pénétrer en signe d’humilité.
La construction fascine ceux qui la découvrent et elle
porte son lot de mystérieux secrets. L’absence manifeste du moindre petit rayon
de soleil nous aura privés aujourd’hui non seulement des contrastes d’ombres et
de lumière sublimant la beauté des sculptures, mais aussi de l’apparition de
silhouettes suggestives à certaines heures de la journée. En effet, des photos
ont révélé l’ombre de près de 4 mètres de hauteur d’un homme en prière lisant
le coran sur le portail Ouest, l'après-midi vers 15h, la silhouette
d'une femme priant à la porte du ciel le matin vers 7h, et celle d'une tête
d'homme à la porte du Shah vers 9h, censée représenter le profil d'Ahmet Shah.
Ces apparitions ne seraient pas fortuites mais imputables
aux calculs très méticuleux que les architectes et les maîtres d'œuvre ont
effectué pendant deux années avant d’entreprendre la construction de la
structure.
Les piliers aux décors sculptés présentent tous des éléments et des styles différents, bases, futs et chapiteaux, rien n’est identique.
L’intérieur de la mosquée comporte une salle de prière
unique cloisonnée par quatre rangées de cinq colonnes créant cinq nefs coiffées
de plusieurs voûtes de pierre aux décors très élaborés, jouant tant des formes
que des couleurs des matériaux.
Le mihrab possède aussi une décoration singulière.
Le bassin d'ablution est à l'intérieur de la salle de prière et recouvert d'un oculus.
Evliya Çelebi, célèbre voyageur du 17e siècle s’étant
déjà extasié devant les réalisations architecturales de Sivas, déclarait que
les mots seraient insuffisants pour décrire cette œuvre fascinante du compexe de Divriği: « Dans ses
louanges, les langues sont stériles et les plumes sont brisées. »
Le ciel bien capricieux se décide à dévoiler un morceau d'azur juste le temps d'une photo avant de quitter les dentelles de Divriği.
Lors du programme de restauration, la plupart des bâtisses
récentes ont été démolies aux alentours immédiats de l’édifice historique. Les
chemins piétonniers d’un aménagement paysager permettent de dévoiler
progressivement la silhouette du complexe. Des vestiges ruinés d'un hammam ont été dégagés
mais ne sont pas datés.
En contrebas un Türbe
octogonal coiffé d’un cône, lui aussi octogonal, semble monter la garde. Les
inscriptions gravées au dessus de l’entrée surmontée d’un arc à dix lobes indiquent
que l'émir Hacip Kamereddin est enterré dans ce tombeau depuis précisément le 19
juillet 1196.
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Sources
Ouvrage illustré : Divriği Ulu Camii ve Şifahanesi Taş Bezemeleri; 16-18 Haziran 2004. VIII.Türk Tıp Tarihi Kongresi Sivas-Divriği.
Grande Mosquée de Divriği – Histoire des témoins Dok mimarlik
Très beau voyage. Les dentelles de pierre de Divrigi m'ont particulièrement impressionné avec un état de conservation remarquable... J'attends la suite du voyage avec grand intérêt et merci pour tout ce travail de recherche sur des régions très peu connues... Josiane
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