lundi 23 février 2015

Exposition "500 ans d'histoire du café turc" au Palais de Topkapı

Si en Turquie on sirote des “çay” (thé) à longueur de journée, la dégustation d’un café tient une toute autre place encore aujourd’hui et s’apparente à un moment de détente plus raffiné, même si le cérémonial de sa préparation s’est notablement simplifié au cours du 20e siècle et plus encore ces dernières années avec l’apparition de l’appareil électrique adéquat.
Saluons l’initiative de l'Association de culture et de recherches sur le café turc, créée en 2008, qui a soumis un dossier convainquant à l’UNESCO aboutissant à son inscription sur la liste du patrimoine immatériel en 2013 et à l’origine de cette exposition bien documentée qui retrace son histoire.


Il y a bien des années j’avais été conquise par la tradition du café turc et plus tard, constatant son recul de popularité face à la concurrence d’autres modes de préparation, je lui avais consacré un des premiers articles de ce blog.
Autant dire que cette exposition le mettant à l’honneur a toute ma sympathie et que sans plus attendre je vous livre commentaires et photos de ma visite.

L’histoire du café turc commence vers 1535 après la conquête du Yemen par Soliman le Magnifique. L’arbuste aux baies rouges contenant dans leurs noyaux les fameux grains verts y est déjà cultivé depuis probablement trois siècles et une décoction de ses grains grillés et broyés est très appréciée dans la péninsule arabique pour ses propriétés à stimuler et prolonger la concentration intellectuelle.
La consommation du breuvage se répand rapidement dans tout l’empire ottoman.
A la cour du sultan, au palais de Topkapi, ainsi que dans les demeures aristocratiques, sa préparation et son service font l’objet d’un minutieux protocole. 


Des chefs du café (kahveci başı) entourés d’un personnel spécialisé en sont responsables et leur fonction est assez respectée pour les autoriser à défiler dans des processions comme en témoignent des miniatures du Sürname (Livre des fêtes).



On ne peut se passer d’un café même dans les situations les plus périlleuses : un équilibriste assis dans un panier d’osier en haut d’une perche s’en verse dans une tasse.


Des kahvehane (lieu où l’on sert du café) ouvrent cependant un peu partout dans la capitale ottomane dès 1555. Les hommes s’y réunissent de longues heures.
Certains objets témoignent d’un art de vivre indissociable de la dégustation du café : éventails, longues pipes, narguilés, instruments de musique, jeux de tavla




Les femmes font de même dans les salons des harems.


Ces moments de détente et de rencontres deviennent le symbole de la convivialité et de l’hospitalité à la turque. La cérémonie du café est institutionnalisée.
La consommation se répandra peu à peu en Europe et dans le monde avec des méthodes différentes de préparation, mais conservera en Turquie et les anciens territoires de l’empire, ses particularités.
L’exposition présente un grand nombre d’ustensiles liés à des techniques précisément répertoriées.
La torréfaction des grains et leur refroidissement se font dans des récipients adaptés où l’on ne met que du café.



Pareillement, mortiers et moulins cylindriques sont utilisés exclusivement pour le broyage des grains jusqu'à l’obtention d’une très fine mouture.



La lente cuisson sur les braises est une opération délicate. Le mélange doit monter par au moins deux fois dans le cezve (récipient spécifique) pour former une mousse onctueuse sans déborder. 



Le mot taşım désignant cette montée contrôlée est réservé au café. Le titre de l’exposition « Bir taşım keyif » est donc particulièrement bien choisi mais sa traduction en français (une montée de plaisir) ne parvient pas à en transmettre toutes les nuances.
Les grains de café sont conservés dans des coffrets originaux ou des sacs de tissus brodés.



Plateaux et napperons participent à un service raffiné.


La tasse et sa soucoupe sont bien sur un élément essentiel du cérémonial. En porcelaine de Chine, de Sèvres ou de Saxe, en fine céramique d’Iznik ou de Küthaya, elle porte de délicats motifs colorés. Quand elle ne comporte pas d’anse elle est insérée dans un étui de métal ouvragé (or, argent, cuivre), parfois rehaussé de pierres précieuses.




Certaines, comme celle-ci venant de Kütahya présente un motif stylisé du caféier.

    
On notera que les premiers récipients étaient des petits bols chinois, d’une contenance bien plus importante que les tasses (fincan) utilisées plus tard.


Clin d’oeil anachronique de cette exposition, une découverte archéologique de la région d’Izmir (Panaztepe près de Menemen) prend place dans une des vitrines. Ce qui ressemble étonnement à une tasse à café de forme très actuelle date du 2e millénaire av. JC. A quel breuvage pouvait-elle bien être destinée ?


Des stèles de tombeaux portent même les reliefs d’objets se référant à la préparation du café.


Enfin, datant du début du 20e siècle, toute une série de croquis du peintre Ali Reza Bey évoque une consommation populaire loin de l’apparat déployé par les classes privilégiées mais qui perpétue la tradition à travers des gestes, des objets plus simples, véhiculant cependant toujours autant le respectueux souhait d’apporter un moment de plaisir à la personne qui va déguster le café et la sensation pour celle-ci de recevoir une marque de généreuse attention.

Tout autant que les objets et les illustrations, des mots de la langue turque témoignent de l’importance culturelle du café (kahve). Ainsi la couleur marron se dit couleur café (kahverengi), le petit déjeuner est désigné “sous le café” (kahvaltı) premier repas de la journée qui sera suivi d’une tasse de café. Les mots les nommant avant l’arrivée du café sont tombés dans l’oubli…

La visite se termine par la boutique présentant des reproductions de qualité de quelques objets exposés et le (gros) catalogue abondamment illustré retraçant toutes les recherches liées à l’exposition. 




Quelques tables lui donne même des allures de café, mais il manque quelque chose d’essentiel… On a beau humer avec insistance, aucun arôme ne vient chatouiller nos narines ! Les vendeurs sont désolés de n’avoir à nous offrir que du Şerbet à la rose et des bonbons !


A la décharge des organisateurs ma visite date de samedi, premier jour de l’exposition, et j’espère que cette lacune va être comblée rapidement !
En évitant de tomber dans le folklore des cezve de cuivre et des moulins à manivelles, puisqu’ils ont leur place dans les musées, il faut moudre en machine du café dans ce lieu et y préparer des cafés turcs avec les appareils d’aujourd’hui. Les turcs ne sont pas prêts à renoncer à leur café et ils ont bien raison ! Pourquoi ne pas montrer que les traditions savent résister en s’adaptant aux changements et en convaincre les visiteurs en leur faisant lever le nez et respirer de plaisir les effluves. 

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Exposition temporaire du 21 février au 15 juin 2015, située dans la bâtisse des anciennes écuries impériales. Ouverte tous les jours sauf le mardi de 9h à 16h45 et jusqu'à 18h45 à partir du 15 avril




mercredi 18 février 2015

Neige sur Istanbul

Il neige depuis deux jours sur la ville… Rien d’exceptionnel puisque presque chaque année cet épisode plus ou moins long se renouvelle et paralyse Istanbul.



Le trafic routier était bien perturbé hier, mais ce matin bon nombre de véhicules sont restés dans les parkings. 


Les lignes de métro étaient saturées et il a fallu beaucoup de patience sur les quais avant de pouvoir se frayer une place dans une rame.
En tout cas une bonne nouvelle : les barrages sont pleins !
Et puis dans les parcs le spectacle est magnifique.
Ci-dessous, une éclaircie de courte durée au parc d'Akatlar (Sanatçılar parkı)





mardi 17 février 2015

Ceci n’est plus un “fait divers”

Il aura fallu un crime monstrueux pour que l’opinion publique turque se réveille en frissonnant d’horreur. Le viol et le massacre d’Özgecan, jeune étudiante de vingt ans, ne sont pas restés dans la rubrique “fait divers”.
Pourtant les médias nous abreuvent de ces crimes plus sinistres les uns que les autres, banalisant une situation ressentie par beaucoup comme une fatalité et que seules quelques plateformes et associations féminines dénoncent comme un fléau à combattre. Mais depuis une décennie rien ne bouge.

AFP - Adem Atlan
Cette fois la violence masculine est au centre des débats et enfin sont remises en cause les répressions laxistes qui ont participé à minimiser la gravité des faits, accordant aux coupables tout un arsenal de circonstances atténuantes et laissant planer le doute sur l’innocence des victimes.

Il semble qu’enfin les femmes aient trouvé la force de se révolter, de réclamer justice, de refuser de se résigner. Les mobilisations n’ont pas faibli et hier beaucoup portaient le noir du deuil de toutes les femmes humiliées, battues, assassinées.

Il serait temps de ranger les discours machistes et de redresser la barre avant que la République de Turquie, celle qui a reconnu aux femmes le droit de vote en 1930 (élargi à tous les scrutins en 1934), ne fasse naufrage.

jeudi 5 février 2015

L’akbil c’est fini

Utilisé depuis 20 ans, en sursis depuis l’été 2011, ce sésame des transports urbain stambouliote est parfaitement obsolète depuis le 2 janvier 2015. L’istanbulkart qui l’a remplacé irrévocablement est dans mon sac depuis plusieurs mois, mais l’autre jour, devant le tourniquet, dans un moment de distraction j’ai sorti machinalement mes clefs. L’akbil y est toujours accroché. Je n’ai pas pu me résoudre à l’échanger et l’ai utilisé jusqu’au dernier moment. Si les machines ont toujours le dispositif pour placer la rondelle métallique de l'objet, la manip vous rappelle à l'ordre en vous signifiant qu'elle n'est plus valide.  
C’était pourtant bien pratique car en principe en sortant de chez soi on n’oublie pas son trousseau alors que la carte peut rester dans un autre sac ou une autre poche par inadvertance…
Et là commence la galère s’il n’y a pas de distributeur de ticket à proximité !
Il va falloir trouver un système pour les étourdis. Faire un trou dans la carte pour y passer un anneau c’est possible ?