mercredi 19 décembre 2012

Une halte à Menemen


Au cours de notre dernier périple Smyrniote, après avoir visité plusieurs sites antiques et curiosités locales, Pergame, Sardes, Kyme, bas-relief hittite de Karabel, village de Nazarköy, une halte à Menemen était prévue. La petite ville des environs d’Izmir est connue pour ses poteries de qualité. La plaine argileuse environnante fournit la matière première à cette activité artisanale depuis des millénaires. Pas besoin de chercher bien loin, la production est en vente sur le bord de la route. Par contre les ateliers et fourneaux ne sont pas vraiment accessibles ayant été délocalisés dans la campagne environnante.


Les amphores antiques ont laissé la place à des formes plus adaptées aux utilisations actuelles.  Si les classiques cruches, récipients de toutes tailles pour la cuisson au four ou à l’étouffée, pots à l’intérieur engobé pour la fabrication et conservation du yaourt, constituent l’essentiel de la production, des pièces à vocation décorative telles que cache-pots, photophores etc… sont également empilées sur les étagères.





J’avais plus ou moins imaginé que j’y trouverai un récipient spécialement adapté à la cuisson de la préparation d’œufs brouillés, tomates et poivrons, bien connue partout en Turquie, et portant le nom de la localité. Je supposais que par extension, le contenant avait pu finalement donner son nom au contenu.
A ma question, le marchand m’a répondu que c’était une tout autre histoire, précisant que la fameuse préparation se cuit généralement dans un plat métallique, cuivre étamé ou aluminium.
Le traditionnel menemen ne serait d'ailleurs pas millénaire mais tout juste centenaire. En effet la présence de tomates dans la préparation indique clairement que ce plat ne faisait aucunement partie des traditions culinaires de l’empire ottoman.
Même si aujourd’hui, en Turquie, la tomate est au 3e rang de la production mondiale et qu’elle est devenue un élément incontournable de la gastronomie turque, elle n’y a été introduite qu’au début du 20e siècle.


Mais revenons à notre menemen dont le potier s’improvise l’historien.
Selon lui, le célèbre plat serait le résultat d’un enchaînement de circonstance qui commence avec l’avènement de la République et l’arrivée des Turcs Crétois suite aux échanges de populations. Ces insulaires ont des habitudes culinaires bien différentes des autochtones et ne dit-on pas d’eux qu’où ils s’installent, une chèvre est condamnée à la famine. Ils ont en effet l’habitude de ramasser quantités de variétés d’herbes sauvages constituant l’essentiel de leur alimentation. Pour s’intégrer plus rapidement à leurs concitoyens, ils n’hésitent pas à partager largement avec eux leurs repas. Les tablées sont donc souvent importantes et pour rassasier les convives on ajoute simplement des œufs à ces herbes.
La politique de développement de l’agriculture en général et l’introduction de la tomate coïncident avec leur arrivée et du coup ils sont souvent employés agricoles. C’est ainsi que peu à peu, les tomates et poivrons ont remplacé les herbes dans la préparation populaire qui s’est répandue sur tout le territoire pour des raisons évidentes : recette facile, rapide, économique et conviviale.

J’ai dégusté mon premier menemen improvisé dans un village de Cappadoce, il y a plus de trente ans. Nous avions été invités à nous joindre à la veillée précédant un mariage. Assises sur des kilims, une quinzaine de personnes se pressaient autour de deux plats au diamètre généreux, y trempant allègrement des bouchées de pain. L’authenticité résidant bien entendu dans l’absence de la moindre fourchette.
Même si je n’ai jamais vraiment retrouvé la saveur de celui-là, d’autres menemen s’en approchent bien qu’ils soient servis dans une cassolette individuelle… comme à la pâtisserie-restaurant Saray (à Beyoğlu).
Pour conclure, n’oublions pas de mentionner que Çakallı, un village situé entre Ankara et Samsun, à des centaines de km de Menemen, en revendique la spécialité et l’excellence. A l’occasion, il faudrait vérifier l’affirmation et, qui sait, trouver celui ou celle qui détient l’historique de la version locale.  

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