mercredi 2 mars 2011

Légende de Şahmeran

En Anatolie, l’art populaire est venu relayer la transmission orale des contes. La représentation graphique de Şahmeran* est bien présente dans de nombreuses régions du centre, du sud-est et est anatolien… de Van jusqu'à Konya en passant par Mardin et Adana…

Au musée de Mardin ou dans les vitrines des magasins de la vieille ville, on peut voir des peintures sous verre à son effigie, bien reconnaissable. Hasan Usta, un chaudronnier de la localité, y est devenu très célèbre en gravant son image sur des plateaux de cuivre.

Les « Şahmeran » exécutées par les artistes du mouvement : “10 Kadın Sanatçı İnisiyatifi” vont bientôt retrouver leurs compagnes dans l’une des nombreuses villes où la légende s’est enracinée.

Şahmeran est une créature mythique anthropomorphe avec une tête de femme surmontée de deux cornes, sur un corps de reptile dont l’extrémité est une tête de serpent couronnée. Elle se déplace sur six paires de pieds terminés eux aussi par des têtes de serpents.
 Crédit photo: "10 Kadın Sanatçi İnisyatifi"
de gauche à droite et de haut en bas:
Feyza Oyat, Siren Üstündağ,

Müjgan Atukalp, Pınar Yazkaç, Birsen Apça,
Dilek Kaur, Rümeysa Kanat (artiste de Mardin), Seher Özinan


Voici une version qui reprend les détails les plus récurrents... traduction croisée de plusieurs récits qui se transmettent depuis des siècles…

Il y a bien longtemps vivait dans une grotte, parmi une multitude de serpents une créature extraordinaire qui connaissait tous les secrets de la terre. Son savoir n’avait pas de limite. Ni le langage des animaux, ni l’histoire de chaque pierre ne lui étaient inconnus. Elle se méfiait par-dessus tout des humains qui lui paraissaient porteur du plus grave des défauts. Ils étaient envieux, avides de connaissance à n’importe quel prix, pour dominer et mieux contraindre les autres à leur puissance. Leur perfidie aux mille visages la terrorisait et pour cette raison elle se cachait.

Le savoir de Şahmeran était sa force mais elle ne voulait faire peur à personne, ni imposer une quelconque soumission. Les serpents la vénéraient pour sa sagesse et sa beauté. Elle leur avait promis de ne jamais faire confiance aux humains.

Mi-serpent, mais mi-femme aussi, elle aurait cependant bien voulu échanger des sentiments humains avec des créatures humaines et quand un jour un jeune homme nommé Cansab* tomba dans la profonde caverne, elle déploya des trésors d’hospitalité pour qu’il ne la craigne pas, lui offrit des nourritures merveilleuses et lui raconta des histoires extraordinaires pendant des années, si bien qu’un grand amour les unissait… Jusqu’au jour où l’ennui fit dépérir Cansab qui l’implora de lui rendre sa liberté et lui promit de ne jamais révéler le secret de la grotte où elle se cachait.

Şahmeran savait qu’il ne pourrait tenir son serment mais l’aida à retrouver la surface de la terre. Il partit loin de son village pour ne pas devoir répondre aux questions de ceux qui le connaissaient. Il garda le silence sur ce qui lui était arrivé.

Mais un jour, le roi de ce pays tomba gravement malade et ses serviteurs furent chargés de trouver Şahmeran qui seule avait le pouvoir de le guérir. Ils cherchèrent en vain jusqu’au moment où un grand personnage du royaume eut l’idée de faire venir tous les hommes au hammam afin de découvrir qui portait des écailles sur le corps trahissant une rencontre avec Şahmeran.


Cansab découvert et torturé pendant de longues semaines finit, presque mort, par avouer le secret de la grotte.
Şahmeran fut rapidement retrouvée, coupée en deux morceaux et mise à cuire dans deux chaudrons pour en faire boire le bouillon au roi.

Mais auparavant, en regardant Cansab, elle délivra son dernier secret :
« La faiblesse mérite la mort. J’ai trahi les serpents en te laissant partir et tu m’as trahi à ton tour. Le bouillon de ma tête est un poison. Celui de ma queue est un remède. Si tu cherches une punition bois le poison ! »

Le bouillon de la queue de Şahmeran fut bien vite mis dans une coupe pour faire boire au roi la potion qui devait le guérir, pendant que Cansab, souhaitant mourir pour oublier sa honte, avalait le bouillon de la tête.
Mais à la surprise de tous, le roi se tordit de douleur et s’écroula mort, alors que Cansab reprenait ses esprits et voyait ses blessures se refermer miraculeusement. Il s’éloigna, emportant avec lui le savoir illimité de Şahmeran, et on ne le revit jamais plus.
 
Depuis ce temps Şahmeran est un symbole de sagesse, de fécondité, et d’abondance. Des croyances venues d’un autre âge lui accordent des pouvoirs de guérison et de protection contre le mauvais œil.

Variantes des noms: *Şahmeran, Şahmaran, Shahmeran, *Cansab, Camsap, Tahmasp




1 commentaire:

  1. Gisele écrivain d'Istanbul8 mars 2011 à 17:46

    Merci pour cet article. J'adore ce motif de peinture et surtout quand il est peint sous verre...

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