samedi 26 septembre 2009

Le café turc : petite histoire

C’est l’histoire d’un grain, fruit d’un arbuste à fleurs banches de la famille du gardénia qui contient deux fèves de couleur vert pâle, et qui a sans doute dévoilé son incomparable arôme par accident dans un feu de broussailles…

La légende dit qu’il a été découvert par un berger du Yémen qui remarqua l’excitation de ses chèvres après qu’elles aient brouté les baies rouges du mystérieux arbuste. Des écrits médicaux du 9ème siècle font mention de plante magique et de graines grillées qui d’après les vertus qu’on leur attribue pourraient bien être du café. On attendra le 17ème siècle pour connaître cette boisson en Europe. Elle arrive en 1615 à Venise et 1644 à Marseille. Mais les sujets des sultans de l’empire ottoman la connaissent déjà. On commença à boire du café en Turquie sous le règne de Soliman (1520 – 1566). C’est le Pacha Özdemir, préfet d’Ethiopie, qui passant par le Yémen, ramena les premiers grains.

Dès cette époque, la préparation de la boisson fût l’objet d’un véritable cérémonial et les familles riches employèrent un abondant personnel spécialisé. Le premier café a été ouvert en 1554 à Istanbul et très vite ces lieux de dégustation se sont multipliés au point d’inquiéter les autorités religieuses qui rapidement, comprirent que les conversations qui s’y tenaient, sortaient de leur contrôle et pouvaient avoir des effets subversifs. Un musulman ne devant absorber d’aucune façon des aliments carbonisés, fût le prétexte évoqué et aussitôt détourné par les amateurs de café qui adoptèrent la technique de torréfaction particulière au café turc sans doute pour cette raison.

Cela ne suffit pas pour apaiser les virulentes critiques des religieux qui dans un premier temps obtinrent des restrictions sous Murat III (1574 – 1595) et Ahmet 1er (1603 – 1617) puis l’interdiction de consommation par une loi de Murat IV (1623 – 1640) qui prévoyait la pendaison pour ceux qui passaient outre. Le sultan soupçonneux sillonnait incognito la ville la nuit pour surprendre les coupables en flagrant délit.

Après 25 années de privations, les amateurs du sublime breuvage reprirent leurs habitudes grâce à Mehmet IV (1648 – 1687) qui leva l’interdiction. Le rituel s’enrichit jusqu’au 19ème siècle d’un service raffiné qui exigeait plateaux en argent et tasses de porcelaine fine insérées dans une sorte de coquetier d’argent comme on peut en voir dans les musées. Aujourd’hui, le service se fait plus simplement dans les petites tasses en porcelaine de Küthaya que vous connaissez, et il reste encore, pour les stambouliotes, un geste de bienvenue qui ne se refuse pas.

Cependant, un coup fatal fût porté à ce symbole au début des années 80. L’importation de café fût suspendue faute de devises, et un commerce clandestin de café soluble fit son apparition. Très cher, ce dernier devint un nouveau luxe que les autochtones ont considéré comme le prix à payer pour la modernisation et, sournoisement, il détrôna le café turc, qui revient sur le marché quelques années plus tard amputé de son auréole et démodé comme un vieux chapeau.
Alors qu’il avait résisté pendant plus de quatre siècles à la concurrence du café filtre et de l’expresso italien, un engouement assez récent pour les salons à la mode américaine serait-il en train de l’achever?

Avant qu’il ne soit relégué dans les annales du folklore touristique, courez vite en acquérir 100g à la brûlerie de Mehmet Efendi, derrière le Bazar égyptien, maître incontesté de l’arabica torréfié juste comme il faut, pour qu’il conserve sa blondeur et moulu dans les règles de l’art, pour qu’il se dépose bien au fond de la tasse après avoir donné le maximum d’arôme. L’acquisition d’un ou deux cezve est indispensable. Il est important que la taille du cezve corresponde exactement à la taille du café préparé pour qu’une mousse se forme lentement à la surface. L’idéal étant bien entendu la cuisson d’un seul café à la fois, de préférence à la chaleur des braises. La préparation du café turc est en fait une épreuve initiatique à la patience et peut être considérée comme un test, mais vous êtes autorisés, pour cause de noviciat, à le préparer pour deux ou trois personnes à la fois sur votre table de cuisson habituelle mais à feu doux quand même. Mélangez dans le cevze une tasse d’eau, deux cuillères à café de café turc et une cuillère à café de sucre par personne pour obtenir un café moyennement sucré, orta sekerli. Il peut être servi sans sucre, sade, peu sucré, az sekerli, ou très sucré, çok sekerli. Même si le temps vous paraît un peu long, ne faîtes rien d’autre que de le surveiller. C’est exactement comme le lait. Vous détournez le regard une seconde et il déborde. Tournez le mélange avec une cuillère jusqu’à la première ébullition et versez un peu de café dans le fond des tasses que vous avez disposées à l’avance sur un plateau, puis reportez le reste du mélange jusqu’à ébullition, avant de le répartir dans les tasses remplies jusqu’au bord comme preuve de générosité. Il ne vous reste plus qu’à transporter votre précieuse offrande sans en renverser dans les soucoupes, en conservant une démarche souple et décontractée. Il s’agit du test d’habileté et de maîtrise de soi.

Ne vous laissez pas impressionner par cette caricature de cérémonie du café qui était encore enseignée à la plupart des jeunes filles dans la première moitié du 20ème siècle. Les serviteurs spécialisés et zélés n’existant plus et les jeunes filles soumises et obéissantes, en voie de disparition, vous avez le droit de remplir un peu moins la tasse. Votre réputation sera un peu égratignée du côté générosité, mais y gagnerez beaucoup du côté équilibre mental et physique. Vos invités ne vous en tiendront pas rigueur, trop heureux de déguster un excellent café.

Si vous avez quelques dons pour la divination, rien ne vous empêche d’exercer vos talents sur une personne consentante, qui retournera sa tasse sur la soucoupe juste après avoir bu le café. Patientez un long moment avant de soulever la tasse pour interpréter les signes qui se sont déposés dans la soucoupe ainsi que ceux laissés par le marc à l’intérieur de la tasse. Des lignes parallèles évoquent un chemin dans lequel on s’engage, un choix, une décision, un voyage à entreprendre. Si ces lignes sont barrées d’une autre ligne, interrompues par une tache, c’est qu’il y aura un obstacle plus ou moins important au projet. Le poisson est signe de richesse, le cheval annonce la réalisation d’un souhait, des profils face à face : une rencontre ou une réconciliation, une silhouette floue indique un départ ou une séparation. Trop de marc dans le fond de la tasse fait craindre des ennuis de santé, mais l’oiseau est toujours un bon présage, le messager des bonnes nouvelles.
D’après les confidences d’une grand-tante, ces quelques signes et bien d’autres encore, doivent être décodés en les associant entre eux, et là, est toute la difficulté. Un petit détail oublié et l’interprétation n’a plus aucun sens. Alors concentrez-vous et bonne chance.

mardi 22 septembre 2009

Le musée de Tekirdağ




Selon les fouilles archéologiques menées depuis les années soixante, la région de Tekirdağ a été peuplée dès le prénéolithique il y a 12000 ans. 


Elle fut un emplacement stratégique des colonies grecques, des occupations romaines, puis des Byzantins jusqu'à l’arrivée des Ottomans. Un musée se devait d’en abriter les vestiges les plus représentatifs, tout au moins ceux qui ont échappé à l'exil vers les musées européens ou le musée archéologique d'Istanbul.


En 1976, l’ancien bâtiment de la préfecture a été alloué à cette fin par le ministère de la culture, mais n’a été ouvert au public qu’à partir de 1993. Depuis il s’enrichit d’année en année des plus récentes trouvailles archéologiques.


Une Déesse-Mère en terre-cuite, datée de 4300 av. JC. a été découverte sur la colline de Toptepe, près de Marmara Ereğlisi (antique Perinthos).


Une sépulture datant du 4e siècle av. JC, enfouie sous un tumulus près du village de Naip köyü a été reconstituée. Elle est exposée avec les divers objets d’argent et de bronze qui entouraient le défunt.


Des poteries caractéristiques des civilisations gréco-romaines.


Des bijoux byzantins finement sculptés dans la nacre.


Une section ethnographique est consacrée à l’artisanat local. En particulier les tissages des environs de Karacakılavuz au nord-ouest de Tekirdağ. 


Dans le jardin du musée on peut voir de nombreux fragments architecturaux, des sarcophages, des colonnes, des statues, des inscriptions et des bas-reliefs de différentes périodes.

dimanche 20 septembre 2009

L’église byzantine de Perinthos

En 1990, un entrepreneur acheta un terrain bordant l’avenue principale de Marmara Eğrelisi avec le projet de construire un centre commercial… Les premiers coups de pelleteuse révélèrent très vite la présence de vestiges archéologiques importants et la municipalité stoppa les travaux de construction.
En 1993 des crédits sont débloqués pour les premières investigations menées dans l’enthousiasme … mais les fonds sont insuffisants et l’endroit va longtemps davantage évoquer une décharge envahie par les mauvaises herbes qu’un site archéologique.

En 2002 des mosaïques sont mises à jour par l’Université d’Istanbul. Périodiquement, la reprise des fouilles de la basilique byzantine datant de 500 environ, est annoncée, mais les résultats visibles se font attendre… Cet été, le site était de nouveau en chantier… et l’équipe présente sur le terrain envisage de travailler jusqu’en décembre sous la direction de M. Önder Öztürk du musée de Tekirdağ, si les conditions météo le permettent. La construction d’une structure est prévue pour protéger l’ensemble et le présenter au public l’été prochain.

La responsable des fouilles a évoqué la présence de mosaïques représentant des oiseaux et des motifs géométriques.
Le Prof. Dr. Mustafa H. Sayar de l’Université d’Istanbul, arrivé sur les lieux, a semblé apprécier mon intérêt et a pris le temps de m’expliquer que Perinthos pourrait bien être un site d’une grande importance.
Certains n’hésitent pas à le comparer à celui de la cité d’Ephèse…

Séjour en Thrace - Perinthos

Ma curiosité s’est plus particulièrement tournée sur l’actuelle petite ville de Marmara Eğrelisi où, même en dehors des jours de marché, j’ai fait de fréquentes visites.


Il y a des années, une pancarte disparue aujourd’hui, indiquait l’existence d’un site touristique mais aucun des habitants ne pouvait indiquer l’emplacement du moindre vestige. C’est par ici, disaient-ils, plus qu’évasifs. J’attendais donc avec impatience le réveil de l’antique Perinthos.
Située à 90 km à l'ouest d'Istanbul et à 30 km à l'est de la ville de Tekirdağ, près d'un petit cap sur la côte nord de la mer de Marmara, elle aurait été fondée par une colonie grecque de l'île de Samos vers -599 et son nom d'origine était probablement Mygdonia.
Soutenue par les Athéniens, elle fut célèbre pour sa résistance acharnée et victorieuse à Philippe II de Macédoine en -340. Progressivement, les habitants furent complètement hellénisés. Puis en 46 de notre ère, avec l’empereur Claudius, la Thrace est incorporée à l’empire romain.
Malgré les invasions successives (Huns, Avar, etc.), elle restera romaine jusqu'à l’arrivée des Ottomans au XIVe siècle.
Sous Septime Sévère (193-211), l’Empire romain entra en guerre contre Byzance qui fut réduite en cendres et son territoire fut annexé à la province romaine de Thrace. La capitale fut alors Perinthos pour une courte période vers la fin du IIe siècle. Un épisode qui lui permit cependant d’avoir un développement important, puis un lent déclin après que Byzance, devenue Constantinople en 330, s’impose comme une capitale prospère. Perinthos, que l’on nomma Héracléa à partir du VIIe siècle en hommage à Héraclius, empereur byzantin, n’échappa pas aux pillages des croisés en 1096 et en 1206 et à la destruction de ses monuments par d’importants séismes. Le site ne fut jamais complètement abandonné, mais on tira semble-t-il un trait sur le passé et l’on utilisa sans vergogne les pierres des monuments anciens pour de nouvelles constructions…
Toute la région a fait l’objet de fouilles épisodiques depuis les années 1960 mais la cité antique reste encore mal connue. Le musée archéologique d’Istanbul y consacre cependant une maigre vitrine et quelques indications. Raison de plus pour guetter son réveil !

Au gré du hasard et des démolitions, un certain nombre de vestiges ont été mis à jour ces 30 dernières années et la municipalité a récemment ouvert un parc dans une avenue adjacente où l’on peut voir des colonnes, des sarcophages, des éléments de conduites d’eau…
















Quelques panneaux s’efforcent de donner des explications mais la curiosité reste inassouvie…



Au musée de Tekirdağ, sont également exposés des bas reliefs, des stèles gravées. Il est précisé qu’un grand nombre de vestiges trouvés à Perinthos ont été transportés et certains sont visibles au musée archéologique d’Istanbul, d’autres dans des musées à l’étranger.
Certains ont même été réutilisés dans des constructions relativement récentes. Les gradins de l’amphithéâtre ont servi pour les fondations de l’hôpital gouvernemental de Çorlu en 1965. Ce qu’il en reste sur place n’est d’ailleurs pas visible car actuellement le terrain est occupé par l’armée.
Des dégâts irréversibles ont été commis, mais tout n’est peut être pas perdu…
Il parait qu’une association Perinthos va être crée dans les mois prochains à l’initiative de la municipalité de Marmara Eğrelisi…

vendredi 18 septembre 2009

Séjour en Thrace - La côte de Ganos

Protégée par un accès difficile, la côte de Ganos, (de l’ancien nom du village de Gaziköy) située entre Tekirdağ et Şarköy, avec ses falaises surplombant la mer de Marmara et atteignant 500 mètres par endroits, offre des paysages surprenants.

Elle commence cependant à être appréciée des randonneurs et des amateurs de parapente. Mais pour la découvrir, il ne faut pas avoir peur de quitter la route nationale qui s’enfonce à l’intérieur des terres, et d’emprunter le chemin stabilisé qui suit la côte. (Déconseillé par temps de pluie)
Vous traverserez des villages à vocation essentiellement agricole. Ils sont connus pour leur production d’huile d’olive, leur fromage et surtout pour leur excellent vin.
Il faut savoir qu’un de ses villages, Mürefte et ses alentours, représente 30% de la production viticole turque et que cette spécialité remonte à l’antiquité. On peut y visiter le musée du vin Kutman.
Les vendanges s’y déroulent pendant tout le mois de septembre.


A Hoşköy, une propriété viticole appartenant à la famille Çetintaş et produisant les vins Melen est installée sur les terres du monastère Aya Yorgi en ruine. La reconstruction et restauration du seul monastère existant encore dans la région sont en projet avec le soutien de l’Université de Thrace.




jeudi 17 septembre 2009

Séjour en Thrace

Passant régulièrement quelques semaines de vacances en Thrace Orientale, du coté de Tekirdağ, depuis presque vingt ans, je regrette le manque d’intérêt porté à cette région. Les touristes n’en connaissent tout au plus qu’ Edirne et le détroit des Dardanelles… Il faut avouer que pas grand-chose n’a été fait pour les attirer. Doit-on s’en plaindre ou s’en réjouir ?
Le littoral est cependant bien connu des vacanciers turcs et de nombreux villages de « yazlık » plus ou moins esthétiques ont délogé les champs de tournesols depuis une trentaine d’années.
Mes pensées attristées s’adressent aux familles des victimes des récentes intempéries, début septembre, qui ont eu localement des conséquences dramatiques.