Des obligations administratives (renouvellement de permis
de séjour à Kumkapı) m’ont conduit dans le vieux quartier de Kadırga à
Istanbul, en contrebas du quartier touristique de Sultanahmet et de la mosquée
bleue et à proximité du rivage de la Marmara. L’occasion de saluer au passage
la Petite Sainte Sophie, église byzantine devenue mosquée depuis longtemps et
de rendre visite à la mosquée Sokullu Mehmed Pacha que je n’avais pas revue
depuis de nombreuses années. Mes dernières photos datant des années 1990, il
était grand temps de les actualiser et de combler une lacune de ce blog.
Conçue par Mimar Sinan (1489-1588), architecte en chef de l'empire ottoman sous Soliman le Magnifique
et ses successeurs et achevée en 1571, le
grand vizir Sokullu Mehmed Pacha et son épouse la sultane Ismihan, fille de
Selim II et petite-fille du sultan Soliman le Magnifique en furent les
commanditaires. Seul Sokullu Mehmed Pacha figure sur l'inscription de la
fondation au-dessus de l'entrée principale. Il y est aussi précisé qu’en
ces lieux se trouvaient les ruines effondrées de l'église byzantine Aya
Anastasia.
Encastré dans un ensemble d’immeubles vieillots, le
complexe ne bénéficie pas d’une vue dégagée permettant d’apprécier sa
silhouette, tout comme celui de la mosquée Rüstem Pacha coincé dans l’imbroglio
des ruelles commerçantes du quartier d’Eminönü, autre œuvre de Mimar Sinan
commanditée elle aussi par un grand vizir et gendre de Soliman le Magnifique
quelques années auparavant.
Autre similitude avec la Rüstem Pacha, on accède à la
cour intérieure par un escalier couvert qui vient compenser le fort dénivelé de
l’emplacement architectural. Le niveau inférieur était occupé par des boutiques
dont les loyers perçus contribuaient à l'entretien du complexe religieux.
La cour ouverte surélevée est délimitée sur trois côtés
par un portique à arcades donnant sur seize cellules surmontées de dômes. Le
quatrième coté s’ouvre sur la salle de prière par un portique plus haut que les
trois autres. Lui faisant face et située en surplomb de l’escalier se trouve la
salle d'étude (dershane) de la medrese. Au centre, la fontaine d'ablution comporte
douze colonnettes supportant une coupole en forme d'oignon. La mosquée ne comporte
qu’un unique minaret doté d’un seul balcon.
Bien que de surface relativement limitée, la salle de prière
offre la perception instantanée d’un vaste espace intérieur. Aucun pilier ne
vient couper le champ de vision. Ils sont élégamment encastrés dans les murs.
Le regard se porte d’emblée sur le mihrab de marbre orné de muqarnas sculptés et
encadré de carreaux de faïences d’Iznik aux motifs floraux bleus, rouges et
verts qui s’élancent jusqu'aux pendentifs du dôme, intégrant même les fenêtres supérieures
décorées de vitraux colorés.
Rare exception, la calotte conique du minbar en marbre
blanc est aussi gainée de carreaux d'Iznik.
Avec ses quatre-vingt-dix-huit fenêtres dont dix-huit
percent le tambour de la coupole, la salle de prière est baignée de lumière
comme la plupart des constructions de Sinan.
Les fenêtres du niveau inférieur sont surmontées d’une répétition
à l’identique d’une unique composition.
On remarque une grande quantité de médaillons et panneaux calligraphiés en
lettres thuluth blanches sur fond
bleu, assez rares pour l’époque, sans doute pour attirer l’attention sur une
particularité de l’édifice. Il est censé receler trois fragments de la Pierre
noire encastrée dans un angle de la Kaaba, monument sacré au cœur de la Grande
Mosquée de La Mecque.
Si la décoration intérieure ne peut égaler l’époustouflante
variété de motifs floraux de la mosquée Rüstem Pacha, véritable démonstration des
prouesses et du riche répertoire décoratif des céramistes d’Iznik, la mosquée Sokullu
Mehmed Pacha reste cependant l'une des conceptions les plus raffinées de Sinan.
Le complexe comportait un réservoir alimentant aussi des
fontaines de rue. Cette construction pourrait bien en être le vestige.
Une autre mosquée fut commanditée ultérieurement par le
grand vizir Sokullu Mehmed Pacha et réalisée par Mimar Sinan en 1577-78. Elle
est située à proximité de la station de métro Haliç, en contrebas du pont
Atatürk menant à Unkapanı, à proximité de la Corne d’Or. Connue sous le nom de mosquée d’Azapkapı, elle était aussi décorée de carreaux de faïence d’Iznik, mais
longtemps à l’abandon, elle en fut dépouillée. Ils ont été remplacés par des
répliques fabriquées à Kutahya lors de sa récente restauration.
Sources :
Site Turkish Archaeological News, Iza, 5 juin 2020 (en anglais)
Site Archnet (en anglais)
Répertoire des lieux historiques en Turquie, M. Orhan Bayrak, İnkılap Kitabevi 1994 (en turc)